vendredi, 13 juin 2014
La TTF, Laurence Boone, David Azéma ou l'amour-haine des socialistes pour la finance
Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. Une phrase culte des Tontons flingueurs, que l'on a eue cent fois à l'esprit au fil de la vie.
Elle me revient aujourd'hui face aux agissements de nos gouvernements à l'égard de la TTF ou taxe sur les transactions financières. Cette TTF, cela fait huit années que l'Union en débat. Oxfam France, ATTAC, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Roosevelt ou Amis de la Terre, plus de trois cents ONG européennes réunies dans la « coalitionplus » ont élaboré des propositions qui ont servi de socle de réflexion à la Commission européenne et au Parlement.
Le 10 mai, elles rappelaient un premier succès à la veille des législatives européennes : onze pays européens s'étaient engagés à imposer une taxe sur les transactions financières. Encore une taxe ? oui, mais celle-ci est plébiscitée par 61 % des Européens, selon l'enquête sur la gouvernance demandée par le Parlement européen. Ils savent que la crise dans laquelle nous végétons depuis 2008 a été provoquée par les errements des banques. Et cette TTF doit servir au développement solidaire.
Premier problème : cette mesure est un trompe l'oeil. Pour être efficace, une taxe doit s'appliquer à tous et sur la même assiette. Dix pays, cela ne fait même pas la moitié des états membres de l'Union. L'assiette ? elle est comme les bols de soupe de Boucle d'or : il y en a de toutes les tailles. A priori, les états taxeraient, a minima, les actions et les obligations -c'est-à-dire les outils financiers véritablement liés à l'activité des entreprises. En revanche, les produits dérivés et le trading à haute fréquence, à l'origine de la spéculation financière, échapperont à la taxe. Ces CDS, swaps et autres subprimes constituent une « arme de destruction massive » pour reprendre l'expression de Warren Buffet, vous savez, celui qui dit aussi « la lutte des classes existe et nous les riches, nous l'avons gagnée ».
ll y a tout juste un an, les dérivés en circulation dans le monde étaient évalués à 693 000 milliards de dollars par la Banque des règlements internationaux, soit dix fois le PIB mondial ou 9 000 milliards de plus qu'en 2008, avant le déclenchement de la crise des subprimes...
Cependant, ces dérivés, l'Union ne veut pas y toucher. Elle n'arrive même pas à adopter la mesurette qu'avait imposé l'Etat français aux banques en août 2012, qui n'était rien d'autre que l'impôt de bourse supprimé en 2007 mais remplacé par une hausse de l'impôt sur les plus-values boursières.
Deuxième problème, plus grave encore : cette mesure ne sera très probablement jamais appliquée. Le Royaume-Uni a déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la mise en place d’une telle taxe. Quant à Juncker, le luxembourgeois qui a de bonnes chances d'être élu prochain président de la Commission, il y est farouchement opposé.
Continuons dans l'accentuation de la gravité.
Le troisième problème est démocratique : le compromis piteux auquel sont arrivés les dix Etats signataires de la TTF n'a été adopté que pour calmer les populations avant les élections. Aucun des Etats européens n'a la volonté de lutter contre les banques. La réponse donnée à un député par le ministre des finances luxembourgeois est très éclairante sur ce point : « la déclaration faite par dix de ces onze États lors du dernier conseil ECOFIN début mai est restée très vague à ce sujet ».
Dernier problème, français : les deux derniers gouvernements français, celui d'Ayrault comme celui de Valls, s'opposent farouchement à la taxation européenne des produits dérivés, qui représentent pourtant l'immense majorité des transactions financières spéculatives. Est-ce en raison de la prochaine cotation d'Euronext, la Bourse paneuropéenne -Paris, Amsterdam... ? Non, il s'agit d'une connivence très forte entre socialistes et finance.
On se souvient que c'est lors du premier septennat de François Mitterrand qu'a été dérégulée toute l'économie française. A l'époque, c'était au nom de la lutte contre l'inflation.
Aujourd'hui, en toute impunité, dans le silence criant de la majorité comme de l'opposition, François Hollande fait venir à l'Elysée Laurence Boone comme conseillère économique. Vous la connaissez ? c'est l'ancienne économiste en chef pour l'Europe de la banque américaine Merrill Lynch... Et, dans le même temps, le directeur de l'Agence pour les participations de l'Etat, David Azema, négocie son départ pour cette même Merrill Lynch. Son expérience récente y sera appréciée : n'a-t-il pas la haute main sur EDF, GDF-Suez, Peugeot, Radio France et autres Airbus ?
Que nos dirigeants soient incapables de s'apercevoir des erreurs, ou plutôt des crimes, qu'ils commettent à l'égard de leurs électeurs, que les hauts fonctionnaires soient aussi méprisants à l'égard du bien commun est terrifiant. Terrifiant de bêtise. Terrifiant par ce qu'ils génèrent de désordres et de conflits futurs.
Ils auraient tort de se gêner : la Coalitionplus ne passe-t-elle pas par le Parlement européen pour faire passer ses idées alors que cette instance n'a aucun pouvoir et que la Commission est un pantin aux mains de l'Allemagne ?
S'il vaut mieux rire qu'en pleurer, alors je vais reprendre la lecture des mémoires de Churchill, un verre de rosé à portée de main. Lire ses moqueries sur les couardises et les bêtises des politiques européens dans les années 30, rien de tel pour retrouver le moral !
14:45 Publié dans La finance, vous pigez ?, Nos élites, elles font quoi ? | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
"Bonjour, Je me permets de vous contacter suite à la publication de votre billet sur le lien ci-dessous, et qui nécessite une petite correction : http://actuethique.hautetfort.com/archive/2014/06/13/index.html En réalité, Coalition PLUS est une organisation à part entière. Il s'agit d'une union internationale d'associations francophones de lutte contre le sida, dont le siège est à Pantin, engagée elle aussi dans le mouvement pour une TTF ambitieuse et solidaire, au même titre que les autres organisations que vous avez citées dans votre article. Je vous invite à vous rendre sur le site pour toute information complémentaire et n'hésitez pas à me contacter pour toute question. Bien cordialement, Sophie Baillon Coalition PLUS sbaillon@coalitionplus.org"
Écrit par : Sophie Baillon | lundi, 16 juin 2014
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