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vendredi, 10 février 2012

Le Japon et sa dette publique, un cas riche d'enseignement

Mardi 7 février, le Club des Professions Financières recevait Denise Flouzat. Le chercheur et administrateur de la Fondation de la Banque de France s’exprimait sur « La crise de la dette publique au Japon ».
Un sujet qui permet de nourrir la réflexion sur la dette publique en Europe, puisque, dans ce pays, la dette souveraine brute atteint 204 % du PIB…
Jean-Marc Daniel, président du CPF, rappela d’abord que la Guinée équatoriale est le seul pays au monde sans dette publique. Quel avenir est-il alors le plus rieur : celui du Japon ou de la Guinée ? A ceux qui affirment que la dette publique japonaise ne pose pas problème parce qu’elle est détenue par les nationaux, il posa la question suivante : vaut-il mieux ruiner des étrangers ou ses concitoyens ? 
Eludant cette dernière question, Denise Flouzat s’en posa une autre à elle-même : Pourquoi choisir le Japon pour sujet d’étude ? « En raison de ses spécificités qui confinent au mystère ».


TROIS PALIERS DE CROISSANCE

Dentelle au bord du continent asiatique, au relief accidenté peu propice au développement, la capacité de rebond du Japon est extraordinaire : la révolution Meiji fut un rebond contre les velléités d’intrusion américaines, à la fois économique et militaire et unique en Asie.

Le pays a connu trois paliers de croissance depuis 1945 : à un taux de 9,4 % jusqu’en 1973, année du choc pétrolier marquée par un taux de 25 % d’inflation et une hausse de 30 % des salaires ; ensuite, durant la période 1974-1990, les réserves de croissance s’amenuisèrent, avec un taux annuel moyen de 4,2 % mais ce fut aussi une période de challenge avec les Etats-Unis grâce à  la montée en puissance de l’industrie japonaise dans la chaîne de la valeur ajoutée. Cette belle période se conclut sur une bulle, surtout immobilière, puis en un krach rampant. Depuis 1991 et jusqu’à 2008, la croissance annuelle se situe à 1,2 % en moyenne.

 

DEUX CATASTROPHES NATURELLES EN VINGT ANS

Ces 20 dernières années, le Japon a subi de graves attaques, naturelles, terroristes et économiques. 1995, annus horribilis, fut ainsi marquée par le tremblement de terre de Kobé (5 000 morts), par l’attentat au gaz sarin dans le métro ainsi que par la hausse du yen ou « endaka »  et, enfin, par le début de la crise bancaire.
A partir de 2003, le Japon se reprit, avec une croissance annuelle de 3 % jusqu’à 2008, lorsque la crise financière mondiale toucha le pays par les exportations. Le PIB chuta alors de plus de 5 % en 2009, avant de rebondir en 2010.
2011 commença cependant avec le tsunami qui provoqua la mort de 26 000 personnes. La rapidité de réaction des entreprises permit d’enrayer la cassure de la chaîne logistique mais, durant  le quatrième trimestre, les exportations furent pénalisées par la hausse de la valeur du yen, valeur refuge. Aussi les perspectives da croissance de 2012 estimée à 2,2 % par la banque du Japon, furent-elles réduites à 1,7 % par le FMI.

 

LE KRACH RAMPANT ET SON IMPACT SUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Dès le début des années 80 déjà, la dette publique représentait 60 % du PIB. La violence du krach des années 90 entraîna le lancement de onze plans de relance, pratiquement un par an, jusqu’en 2002. Cependant ces plans étaient focalisés sur le bâtiment, la construction et les infrastructures routières, activités à une faible valeur ajoutée et peu contributrices de relance.

En revanche, la politique monétaire a été inventive : l’overnight collrate, taux directeur du Japon, a affiché un taux zéro de 1999 à 2006. La banque du Japon a aussi inventé le quantitative easing (rachat de titres publics et privés), pratiqué jusqu’en 2006 puis repris  en 2008.
Dans le même temps, la banque centrale a échoué dans son désir de créer un peu d’inflation. Notoire en Bourse et dans l’immobilier, la chute des prix a touché aussi la consommation. Le CPI (indice des prix à la consommation hors produits frais) a reculé de 4 % entre 1998 et 2006. Sur la même période,  les prix en Europe montaient de 30 %. Cependant, cette déflation n’empêche pas que les prix restent encore supérieurs de 30 % à ceux observés en Europe.

 

EVOLUTION DE LA DETTE ET CHARGE DE LA DETTE DE 1990 À 2011 

Il y a une gestion particulière ou plutôt une absence de gestion de cette dette : Il est vrai qu’elle est peu chère : 1 % de rendement pour les « japanese government bonds » seulement. Le coût de la dette est donc faible dans le budget.
Or, la dette publique brute  atteint, en 2010, 204 % par rapport au PIB  (99 % pour les États-Unis, 81 % pour l’Allemagne et 87 % pour la France). En termes nets, la dette publique peut être estimée à environ 130%, compte tenu notamment des flux compensatoires d’endettement de ses importantes réserves de change (1 300 milliards de dollars).  

L’indifférence des dirigeants politiques à l’égard de l’ampleur de la dette s’explique aussi par le caractère national de cette dernière. 95 % environ de la dette est détenue par des Japonais (via  45 % par les banques, 20 % par les fonds de pension et 20 % par les assureurs, 10% par la Banque du Japon et 5% par les Japonais directement via la Poste).  Aussi les agences de notation ne pèsent-elles pas dans le débat public. Autrefois même, la dette japonaise souveraine a été notée moins bien que le Botswana.

Cependant, les pouvoirs publics ont essayé de réduire la dette par le recours à la taxe sur la valeur ajoutée, inconnue jusqu’en 1989. C’est le 1er avril de cette année-là que fut instaurée la taxe sur les transactions au Japon, à un taux de 3 %.
Une mesure très impopulaire. Lorsque, en 1998, le gouvernement voulut remonter la taxe à 5 %, il a subi une grève de la consommation qui a aggravé la situation.
Après le tsunami de 2011, le premier ministre Satsuki Noda a évoqué l’éventualité d’augmenter cette taxe, à 8 % en 2014 puis entre 8 et 10 % en 2015 (le FMI demande un taux de 15 %).  Mais l’hostilité de la population à l’égard d’une telle mesure demeure.
Aussi le coût de 230 milliards d’euros du tsunami, soit 4 % du PIB, à étaler sur une dizaine d’années, sera-t-il essentiellement supporté par les émissions de bons obligataires. 

Au coût de la reconstruction s’ajoute celui de l’électricité. Avant, elle provenait à 30 % du nucléaire mais l’accident nucléaire de Fukushima a provoqué la fermeture de nombreuses centrales. Du coup, l’importation d’énergie a entraîné en 2011 le premier déficit commercial depuis 1980.

 

LES ATOUTS DU JAPON

Le Japon possède des atouts pour résoudre le problème de la dette. Le premier d’entre eux est sa cohésion sociale. Ensuite viennent la qualité de sa recherche (4 % du PIB) et sa base industrielle avancée avec de quasi monopoles mondiaux dans certains secteurs technologiques. 

La cohésion sociale entraîne aussi que les salaires constituent un stabilisateur de la conjoncture : dès qu’il y a récession, les bonus sautent et les salaires baissent. Du coup, le chômage est très faible : 4% aujourd’hui.
Enfin, il y a la proximité du Japon avec les pays asiatiques, industriels du monde.

Parmi les faiblesses du Japon, Denise Flouzat a évoqué la démographie, même si les vieux Japonais travaillent plus et sont en meilleure santé que les Européens. Plus inquiétante lui paraît la faiblesse du pouvoir politique et, peut-être, un sentiment de repli sur soi dans la jeunesse.

Mais le Japon est aussi le pays offrant une contradiction essentielle. Pays vieilli par sa démographie, devenu rentier en raison de l’importance de ses placements à l’étranger, il est aussi le seul pays développé grâce à ses efforts dans le domaine de la recherche à conserver une base industrielle avancée pouvant assurer à l’avenir sa capacité de rebond.



 

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