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lundi, 15 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Lundi 30 juillet 2012
De l’inflation sélective à l’hyperinflation

 

            Une matinée comme un lundi : dans les paperasses, d’abord à classer le courrier arrivé durant les vacances, ensuite à photocopier les justificatifs de revenus pour la location de mon fils.

             Heureusement, un déjeuner en terrasse avec un vieux copain. Il s’était fait lourdé méchamment il y a une petite demi-douzaine d’années mais s’en est bien sorti. Un de ses amis qui montait un site de vente sur Internet l’avait fait venir en attendant qu’il retrouve un CDI. Il y était resté pour ensuite entrer dans le capital puis racheter les parts de son associé.
- Ca marche toujours ton site ?

- Du tonnerre ! Le chiffre d’affaires continue à progresser moins vite qu’avant mais il continue.
- La crise, tu connais pas ?
- Oui, bien sûr, mais j’avais anticipé. En 2010, quand la fréquentation du site a explosé, je devais embaucher des techniciens. Or il se trouve que Maher est Tunisien d’origine.
- Maher ?
- Mais oui, tu le connais, il est là depuis le début, c’est lui qui a monté toute l’infrastructure d’information.
- Ah oui, je l’ai vu plusieurs fois.
- Bon, eh bien, il m’a proposé de monter la structure de back-office à Tunis. On a créé une filiale, à 50-50, il a recruté des ingénieurs et des techniciens sur place et ça roule ma poule.
- Non mais ça va pas ? Toi qui n’arrêtes pas de dire qu’on crève de ne pas donner la préférence aux Français, tant pour le boulot que pour les produits ?
- Les Tunisiens, tu les préfères chez eux ou chez nous, à traîner sur les places ?
- C’est un coup bas.
- Tu réponds ?
- Non, je n’ai pas envie. Oh et puis si. Tu ne peux pas comparer des Tunisiens qui, chez eux, créent des entreprises et toi qui, de France, implantes une entreprise chez eux quand tu pourrais créer des emplois ici. Et en plus, c’est pas vraiment un bon coup non ? Le printemps arabe, il a pas mal de giboulées il me semble ?
- Non, tu te trompes. Les types, ils ont continué à venir bosser tous les jours. Au téléphone, j’entendais les bruits des émeutes dans la rue mais le travail continuait.
- Et je peux savoir combien tu économises en salaires ? 
- Ce n’est pas la bonne question.
- Oh, facile ! Moi, je t'ai répondu.
- Non. Ce qu’il faut voir, c’est le pouvoir d’achat du salarié. Même payé 5 fois moins qu’un Français, le Tunisien aura un pouvoir d’achat 2 fois supérieur.
- Pardon ? 
- Tu as commencé le repas en te lamentant sur le loyer du studio de ton fils, non ?
- Où veux-tu en venir ?
- Au fait que ce n’est pas seulement le coût du travail qui est exorbitant en France mais celui de l’immobilier. Là-bas, un technicien me revient 1000 euros tout compris, soit un peu plus de 2000 dinars et il touche la quasi-totalité de ces 2000 dinars. Avec 650 dinars, soit 320 euros, il loge toute sa famille
dans 80 mètres carrés dans une résidence haut de gamme à Aïn Zaghouan, dans la grande banlieue chic de Tunis. Ici, le technicien, même âge, même expérience, qui revient à la boîte à 5 220 euros par mois ne touche que 2 800 euros en net.A ton avis, pour Saint-Germain en Laye par exemple, il faut combien pour un appart’ de 80 mètres carrés ?
- Euh…
- 1 500 euros minimum. C’est-à-dire que mon technicien, ici, il ne peut pas loger sa famille avec un seul salaire. Et moi, je vais te dire, je ne bosse pas et je ne fais pas bosser pour enrichir des rentiers !

          Ces propos très vifs, je ne les relèverai pas. Ils font écho à ceux de cet ancien agent de change chez qui, toutes les trois semaines, je venais faire part de l’avancée de notre projet. De l’actualisation des revenus d’un SPV nous en étions venus à parler inflation. C’était en février 2012. Ici et là, étaient publiées des tribunes où des économistes plaidaient pour un retour à un peu d’inflation.
- Vous pensez que la Banque centrale européenne lâchera du lest et laissera filer l’inflation ?
- Elle ne fait que ça et depuis longtemps ma chère amie ! Et elle n’est pas la seule. La Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre, la banque du Japon font pareil. Là-bas, ça s’appelle du « Quantitative easing », ici le programme OMT.
- Pardon ? La mission de la BCE est justement de lutter contre l’inflation et, en général, on lui reproche d’être trop restrictive et de freiner la croissance.
- Lorsque l’on déverse des tombereaux d’argent, l’argent perd toute valeur, toute légitimité et l’inflation arrive.
- Désolée, je sais bien que le taux officiel de l’inflation est pipeauté mais nous ne sommes pas en inflation !
- Vous concevez l’inflation au sens classique du terme : la hausse généralisée des prix, suivie, avec retard, par celle des salaires.
- Oui, ce qu’a connu la France, jusqu’au milieu des années 80.

- Jusqu’à l’arrivée de Pierre Bérégovoy aux finances, de 1984 à 1986 puis de 88 à 91. Quel homme ! Il a tout fait : baisser l’impôt sur les sociétés, libéraliser la finance, lancer le Matif
[1], libérer les investissements étrangers… Ah ! le marché unique des capitaux ![2]

Mon interlocuteur s’interrompt, parti dans ses souvenirs manifestement heureux. Les miens sont plus acides : Pierre Bérégovoy aux Finances, c’est un cabinet dont les membres les plus éminents se retrouveront qui PDG d’un groupe de distribution (Jean-Charles Naouri chez Casino) qui PDG d’une banque (Jean-Pierre Peyrelevade au Crédit lyonnais). Pascal Lamy, aujourd’hui président de l’Organisation mondiale du commerce n’était pas avec Pierre Bérégovoy mais avec son prédécesseur aux finances, Jacques Delors. Ces jeunes cerveaux brillants avaient convaincu leur ministre que l’inflation était la véritable ennemie des travailleurs. Il les avait suivis et cassé du même coup le lien hausse des prix – hausse des salaires.
           Pour une cinquantenaire comme moi, l’inflation a la saveur de l’enfance et de l’enrichissement collectif. Tous les étés, lorsque j’arrivais en France pour les vacances, je m’émerveillais des acquisitions de ma famille et des voisins : une année, c’était la salle de bains, ensuite c’était l’AMI 6 qui remplaçait la mobylette avant d’être elle même changée pour une R16[3]....

- Oui, nous vivons une montée de l’inflation. Elle est inexorable et s’apprête à tout dévaster, reprend mon interlocuteur. Pour l’instant, elle n’appauvrit que les travailleurs mais les détenteurs d’actifs vont y passer eux aussi, ou du moins certains actifs.
- Vous pensez aux coûts des produits alimentaires, de l’énergie, de l’immobilier ?
- Et n’oubliez pas l’envolée des impôts.
- Quel rapport avec l’inflation ? Il ne s’agit pas d’un mécanisme économique mais d’une volonté politique.
- Ne parlons pas de volonté : les gouvernements des pays riches sont confrontés à une explosion de la dette. Ces dix dernières années, la dette mondiale a plus que décuplé. Nous en sommes à 200 000 milliards de dollars. Des chiffres tellement énormes que l’esprit humain, sidéré, ne peut pas anticiper les conséquences de ces monceaux de dette.
- Historiquement, les états ne remboursent pas : soit ils laissent filer l’inflation, soit ils font la guerre. Et pour faire la guerre, il faut des jeunes, et l’Europe vieillit.
- La guerre contemporaine est comme l’inflation : protéiforme, supportée par les populations civiles et niée par les dirigeants.
- On peut revenir à l’inflation ?
- Oui. Elle est niée par la quasi-totalité des observateurs parce qu’elle n’affecte pas les salaires. En fait, si les salaires n’augmentent pas, c’est parce qu’il y a pléthore de travailleurs dans le monde : avec l’amélioration des conditions de vie, nous avons, depuis une vingtaine d’années, une arrivée massive de jeunes gens sur le marché du travail mondial : chaque année, 200 millions d’êtres humains ont vingt ans. Ces nouveaux adultes ont besoin de travailler pour vivre et ils sont tous en concurrence.
- Je me souviens : on appelle ça le « slack global » ! 
- Exactement, le slack, c’est la réserve de capacités de production. Elle peut être en biens, en terres, ou en hommes. Aujourd’hui, et pour une quinzaine d’années encore, le temps que parviennent à l’âge adulte des classes d’âge jeunes moins nombreuses, les salaires ne suivront pas l’inflation.
- Que l’inflation touche les actifs tangibles, les terres, l’immobilier, l’énergie, je le comprends. Mais comment parler d’inflation au sujet des impôts ?
- A part les Etats-Unis dont l’hégémonie politique et militaire leur permet d’imposer au reste du monde d’acheter leur dette, les autres états, à commencer par ceux de l’Union, doivent rembourser. Les impôts ne sont rien d’autres que le prix des services publics : lorsqu’on les augmente, on crée de l’inflation.
- La différence avec les années de ma jeunesse, c’est que les salaires ne suivent pas. On en revient toujours à l’appauvrissement des travailleurs, quel que soit leur statut. Mais qui gagne dans l’affaire ?
- Les riches bien entendu. Ils deviennent de plus en plus riches puisqu’ils ont les capacités d’acheter des biens qui se valorisent rapidement. Il y ensuite les Etats qui disposent de ressources énergétiques et ont le moyen de les contrôler : les ploutocraties du Golfe, mais aussi la Russie, le Brésil. Bien sûr, je ne parle pas ici des pays africains qui se font acheter à bas prix des milliers d’hectares de terres arables ou subissent des conflits cinquantenaires pour le contrôle des diamants ou de l’uranium. Et il ne faut pas oublier tous ceux qui ont les moyens de répercuter les hausses d’impôt ou de prix.
- Pourra-t-on longtemps supporter cette situation ?  -
Non. En Grande-Bretagne par exemple, la politique du quantitative easing est déjà en train de ruiner les retraités.
- Le quantitative easing, c’est bien le rachat massif d’obligations de l’Etat par la Banque centrale associé à des taux d’intérêt très bas ? 
- Oui. La Banque d’Angleterre détient le tiers des emprunts d’Etat en circulation. D’abord, c’est inutile puisque l’économie n’est pas repartie. Ensuite, le montant des pensions diminue et le déficit des fonds de pension se creuse.
- Vous pouvez préciser ?
- Le niveau des retraites dépend des actifs en réserve, c’est-à-dire des emprunts d’Etat. Si ces derniers ne rapportent rien ou presque, moins de 2 %, les retraites qui seront servies seront forcément amoindries… En Grande-Bretagne, ils ont fait le choix de faire supporter la crise essentiellement par les retraités.
- Et pour la France ?
- Pour l’instant, l’inflation touche de façon égalitaire travailleurs et retraités. Tant que le peuple n’a pas conscience de l’inflation, la situation perdurera.
- Vous savez, c’est moi qui fais les courses à la maison. Je sais bien qu’il me faut plus de billets de 50 euros qu’avant…
- Oui mais vous avez encore des réserves. Quand vous n’en aurez plus, quand vous n’aurez plus confiance dans la monnaie, nous serons en hyperinflation. Et je ne lui laisse pas 3 ans avant d’arriver.
- L’hyperinflation ?
- Oui. L’inflation de votre jeunesse, elle reflétait la confiance des consommateurs en l’amélioration de leur niveau de vie, en l’avenir. L’hyperinflation, c’est lorsque le public perd confiance dans sa monnaie.
- D’où les exhortations à sauver l’euro ? 
- Entre autres, oui. L’hyperinflation, elle se traduit toujours par l’envolée des prix des matières premières et par la chute des prix de l’immobilier. Nous avons la première, la seconde suivra.
- Partout en Europe ou dans quelques pays seulement ? 
- L’inflation, c’est comme la grippe : sur un corps sain, elle provoque de la fièvre ; sur un corps vieux ou malade, elle débouche sur la pneumonie voire la mort. Rappelez-vous les années 30 : la France était restée à l’abri, l’Allemagne avait sombré. Aujourd’hui…
- Vous êtes bien sûr de vous ? 
- Pas seulement moi. Regardez ce que font les Banques centrales elles-mêmes : elles rachètent de l’or à tout va. L’an dernier, leurs achats d’or ont été multipliés par 6 !  Aux Etats-Unis, près d’une dizaine d’états demandent à ce que l’or et l’argent retrouvent une valeur d’échange. 
- Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?
- Oui, et le mouvement s’étend. Déjà aux Etats-Unis, près d’une dizaine d’états demandent à ce que l’or et l’argent retrouvent une valeur d’échange. Les grands marchés de dérivés –Comex, CME, ICE- et les banques d’investissement commencent à accepter l’or physique en contrepartie. Surtout, les banques privées elles-mêmes demandent à pouvoir utiliser l’or à 100 %.
- 100 % ?

- Pour le moment, les banques de l’Union européenne ne peuvent comptabiliser la « relique barbare » qu’à hauteur de 50 % de sa valeur. Vous allez voir qu’avec Bâle III elles obtiendront de le valoriser entièrement
[4].
- D’un côté, des actifs monétaires comme l’euro ou le dollar avec les dettes colossales derrière, de l’autre un actif dont la cote ne cesse de grimper. Je vois. Mais le péquin moyen, que fait-il ? 
- Rien pour l’instant. Mais la défiance augmente mois après mois envers l’euro.
- Vous avez entendu parler des monnaies locales ? Elles explosent en Europe, comme aux Etats-Unis dans les années 30 mais elles n’ont rien à voir avec la situation économique. Il y en a des dizaines en Allemagne, souvent fédérées dans le réseau Regiogeld, plusieurs centaines en Espagne. Le Chiemgauer par exemple, qui est utilisé en Bavière, existe sous forme de billets de 1, 2, 5, 10, 20 et 50 Chiemgauer, échangeables en euros.
- Attendez. Qui émet ces billets ?
- Au départ, c’était des lycéens.
- Pardon ?
- Oui, un professeur d’économie a fait plancher ses élèves sur la création de monnaie, leur a appris à imaginer et fabriquer les billets puis à trouver des acteurs économiques prêts à jouer le jeu. L’objectif, c’était de permettre aux habitants du Chiemgau, une région de Bavière au sud des montagnes, écartée des grands circuits économiques, de pouvoir consommer et investir dans les produits locaux. Pratiquement, le circuit du Chiemgauer fonctionne avec quatre grands acteurs : l’émetteur, les associations, les producteurs ou commerçants et les consommateurs. Ces derniers échangent auprès des associations des euros contre des Chiemgauer, à parité : 100 Chiemgauer égalent 100 euros mais les consommateurs doivent accepter de laisser au réseau associatif 2 à 3 euros pour 1 billet de 100 Chiemgauer. Ensuite, ils les dépensent auprès des commerçants membres du réseau qui les utilisent à leur tour pour payer leurs fournisseurs. Les entreprises, elles aussi, paient une sorte de taxe, de 5 %, mais pas à l’achat de Chiemgauer, à la sortie, lorsqu’ils échangent ces derniers contre des euros.
- Une sorte de contrôle des changes ?
- Si vous voulez, oui mais il n’est pas coercitif. Les entreprises ne sont pas obligées d’utiliser le Chiemgauer. Si elles acceptent de le faire, et elles le font, c’est parce que le Chiemgauer leur permet de fidéliser leur clientèle et, surtout, de dynamiser leur tissu local. Contrairement aux monnaies nationales, le Chiemgauer a une date de péremption, sa validité est de deux ans seulement.
- Donc, ce n’est pas une monnaie d’épargne.- Exactement. Qui dit épargne dit au minimum argent dormant, au maximum spéculation. Ici, c’est impossible puisque la monnaie Chiemgauer est fondante : tous les trimestres, elle perd 2 % de sa valeur.
- En d’autres termes, on pousse les gens à consommer ?
- Exactement. L’objectif est de stimuler l’économie locale. Partout en Europe, de grandes villes s’y mettent désormais. Toulouse, je crois, a lancé le sol-violette.
- D’où connaissez-vous ces systèmes ?
- Un maire que nous avions rencontré avait suggéré l’idée d’utiliser cette monnaie pour les fonds de titrisation. Mais nous ne sommes pas allés plus loin : c’est impossible à mettre en place. Les assureurs ne peuvent pas investir en fonds propres autrement qu’en euros.
- Oui, leurs placements sont extrêmement encadrés par la loi. Mais attendez, attendez ! Ce Chiemgauer, c’est bavarois vous m’avez dit ?
- Oui pourquoi ?
- Ca me revient : maintenant, je comprends le pourquoi du Chiemgauer. Au début du siècle dernier, il a existé un économiste bavarois, Gessell
[5]. C’est lui qui a conceptualisé la monnaie fondante. D’après ce que vous dites, il semble que ces expériences de monnaies locales s’inspirent de lui. Bon, de toute façon, tout cela me paraît bien marginal, si ce n’est utopique.
- Normal, il s’agit de monnaies à connotation éthique…
- Pas de gros mots, chère amie, pas de gros mots !

 

 

 



[1] Marché à terme des instruments financiers, disparu depuis.

[2] Avant 1985, les marchés financiers étaient séparés : marché monétaire surveillé par la Banque de France, marché hypothécaire surveillé par le Crédit foncier, marché obligataire et des actions surveillé par une Commission de Bourse.

 

[3] Berline de Renault du milieu des années 60

 

[4] Bâle III, du nom de la ville suisse où se déroulent les négociations, est un protocole de renforcement des fonds propres des banques de l’Union européenne. Ces dernières ont finalement obtenu, à l’automne 2012, que l’or soit considéré à 100 %. Soit un actif à risque nul, au même titre que les emprunts d’Etat notés AAA ou que les liquidités…

 

[5] En fait Jean Silvio Gessell (18621930) était belgo-allemand. Il a vécu en Belgique, Allemagne, Argentine et Suisse. Sa pensée sur la monnaie est parue en 1916, dans son essai « L'ordre économique naturel fondé sur l'affranchissement du sol et de la monnaie », disponible gratuitement sur le Net.

 

08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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