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mercredi, 17 septembre 2014

Un drôle d'été français - La guerre sans nom

Lundi 6 août 2012

 De la plage des Corsaires à la mer de Chine en passant par la Méditerranée et la mer baltique

 

            Sur la route qui mène à l’océan, je m’arrête dans une boutique de friperies pour acheter des espadrilles. Tiens, elles sont made in China ! Le comble au Pays basque mais il dure depuis longtemps et s’étend, désormais, aux avions et à la mécanique de pointe.
            Tandis que mon fils prend les vagues sur son surf, je dormasse sur le sable de la plage de l’Océan et laisse vagabonder mes pensées. La Chine, je l’aurai rencontrée à de nombreuses reprises durant le montage inabouti de notre projet.

            Avant d’être dans la banque, il a été au ministère de l’Agriculture.
- C’était au milieu des années 90. Un correspondant de l’OCDE m’appelle. Il me dit : demain, nous recevons des représentants du ministère de l’Agriculture et nous n’avons aucun spécialiste sous la main. Tu pourrais venir ? J’y vais. Et là, je m’en rappellerai toujours, nous écoutons les délégués chinois nous expliquer leurs objectifs : parvenir à la sécurité alimentaire à l’horizon 2005. Pour cela, le gouvernement chinois venait de limiter les importations de riz et d’augmenter les prix payés aux paysans. Les officiels de la Muette[1] souriaient poliment pour masquer leur scepticisme. De mon côté, je me souvenais que ces officiels chinois avaient commencé leur enfance dans les années de grande famine[2] et qu’un tel traumatisme collectif ne pouvait qu’influer fortement les décisionnaires.
- Ils ont réussi ?
- Oui et non. Oui, parce que, avec cinq ans d’avance, ils ont réussi à accroître les rendements et à disposer d’une production de riz suffisante pour leur population. Non, parce que l’élévation du niveau de vie a entraîné une demande plus forte en biens alimentaires élaborés, des yaourts à la viande. Par exemple, près de la moitié du soja disponible sur le marché mondial est acheté par la Chine. De toute façon, même limitée à l’autonomie pour la production de riz, la sécurité alimentaire est un concept fondateur de la politique chinoise. Et la sécurité énergétique aussi.

Cela fit tilt dans ma tête. Trois mois auparavant, j’étais assise devant un sénateur bien au fait de la Politique agricole commune, dans son bureau de  l’immeuble rue de Vaugirard en face du Sénat.
- L’Union européenne est en train de perdre son autonomie agricole. Depuis 1995, les S-A-U régressent.
- Les quoi ?
- S-A-U, pour surface agricole utile. En gros, il s’agit de toutes les terres utiles à l’agriculture, hors forêts. 


            Si l’irénisme à l’égard de la Chine prévaut encore en Europe, il est inconcevable chez ses proches voisins. Samedi 21 juillet, la Chine a « officiellement » installé une garnison à Sansha, bourgade de mille âmes regroupées sur la petite île de l’Arbre de l’archipel Paracel, au large des côtes vietnamiennes.
            Depuis 1974, année de la bataille navale entre les flottes de ces deux pays, la Chine occupe militairement l’archipel qui relève de la souveraineté vietnamienne et y a même installé une base navale. En officialisant sa présence militaire et en reliant administrativement le village de Sansha à la province de Hainan (une grande île au sud de Zhanjiang), Pékin défie les quelques lois qui régissent les relations internationales.
            Cet activisme relève autant de l’impérialisme politique que de l’économique. Militairement, la Chine est très active hors de ses frontières ; depuis 1949, elle a été impliquée dans neufs conflits, ce chiffre excluant la guéguerre avec Taïwan[3].
             Economiquement, le contrôle de la mer méridionale qui regorge de fonds riches en hydrocarbures et en poissons est considéré comme crucial pour l’empire. Au nord-est, il s’oppose aussi, depuis un demi-siècle au Japon sur la question de la souveraineté des îles Diaoyutai –en chinois- ou Senkaku –en japonais- ou encore Pinnacle –en anglais. Au-delà des impératifs de ressources naturelles, la mainmise sur l’archipel Paracel au sud-est et sur les îles Pinnacle au nord-est offre un intérêt stratégique pour la Chine populaire : prendre Taïwan en tenailles et, ainsi, s’assurer la domination totale sur la mer de Chine…
            Prendre en tenailles, c’est la stratégie du croissant si chère aux dirigeants chinois. En 1999, deux officiers de l'Armée chinoise, Qiao Liang et Wang Xiangsui, publient un essai, « La guerre hors limites », qui fera date dans le monde diplomatique pour deux raisons. D’abord parce cet ouvrage, qui n’a pu être publié sans l’aval des autorités tant politiques que militaires, sonne comme l’affirmation de puissance d’un pays encore en marge des grands échanges -il ne sera introduit à l'Organisation mondiale du Commerce que deux ans plus tard. Ensuite parce que son concept sera repris par l’Administration américaine, notamment dans les rapports de la CIA.
            Rédigé peu après la première guerre du Golfe et juste après la crise monétaire de 1998 qui avait mis à bas les « dragons » économiques de l’Asie du Sud-Est et la Russie, l’essai postule deux thèmes majeurs.
            Un, la guerre se mène désormais « en dehors de la guerre » et la victoire se remporte « sur un champ de bataille autre que le champ de bataille classique ».     Deux, les batailles, militaires ou autres, se gagnent toujours par la stratégie du croissant. Utilisée par Hannibal à Cannes, par Nelson à Trafalgar, par Cao Gui à Changshao, cette stratégie vise à affaiblir le « centre » de l’ennemi en l’obligeant à secourir ses flancs.  Une fois qu’il a épuisé ses réserves, l’attaque centrale peut commencer.

            Parmi les guerres non militaires, « la guerre financière est une forme de guerre non militaire qui se révèle tout aussi gravement destructrice qu'une guerre sanglante, même si aucune goutte de sang n'est versée. La guerre financière occupe désormais officiellement la scène qui, depuis des milliers d'années, n'avait été occupée que par des soldats et des armes, du sang et des morts ».
            Douze ans après la mise au pas des pays du Sud-Est asiatique et de la Russie, la zone euro s’est ainsi trouvée dévastée par des attaques massives sur ses banques puis sur ses dettes souveraines. Pourquoi l'Union ? D'abord parce que l'Union est le premier marché mondial et que ses velléités d'indépendance et les restes de sa puissance géopolitique gênent l'expansion des « BRIC ». Ensuite parce que la proie accuse des faiblesses intrinsèques : d'une part, la fragilité de ses banques et l'endettement structurel de ses états membres, d'autre part, l'absence de solidarité entre ces derniers. Les chances de victoire sont d'autant plus élevées que la proie est fragile.
            Depuis septembre 2009, lorsque le Parlement allemand a adopté le traité de Lisbonne en le vidant de sa substance au motif, réel, de son manque de démocratie, l'Union européenne est entrée en une agonie que précipita l'échec du sommet de Copenhague de cette même année. Il visait à renégocier un accord international sur le climat, avec des objectifs chiffrés pour chacun des pays. L'Union européenne l'avait aussi conçu comme une arme de défense contre la puissance émergente des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L'alliance Chine-Etats-Unis déjoua ces plans d'autant plus facilement que les Etats européens allèrent à Copenhague en ordre dispersé : l’Autriche, l’Italie et la Pologne refusèrent de s’associer à la politique communautaire de lutte contre le changement climatique.                 
            Copenhague fut un désastre, aucun état n’ayant accepté d’engagement quantitatif sur ses réductions de gaz à effet de serre. Le signal était donné au reste de la Terre : l’Europe n’existait pas en tant que force politique.

            Aujourd'hui, ce sont les dettes des Etats européens qui sont dans la ligne de mire. Du strict point de vue financier, cela devrait étonner. N'y aurait-il pas mieux ailleurs ? Mais peu importe que le Japon ait un ratio dette/PNB de 200 %, bien supérieur à celui de la Grèce, que les finances du Royaume-Uni soient plus délabrées que celles des Etats du continent ou que la dette des Etats-Unis ne trouve à se placer que grâce au bon vouloir de la Chine.
            Sur une planète dont l'épicentre dérive vers l'Asie, c'est l'Europe, première puissance économique mondiale et surreprésentée dans les instances internationales qu'elle a contribué à créer au milieu des années 1900, qui doit être mise au tapis. Et elle y va rapidement.
            Après les PIGS (Portugal, Irlance, Grèce et Espagne), aux flancs de l’Europe, ce fut au tour de l'Italie et de la France de subir des coups de bélier. Certes, l'état français affiche un ratio dette publique sur PIB proche de 90 % se permet une dépense publique inégalée dans l'OCDE, Suède et Danemark exceptés[4]. Pourquoi alors ces deux pays que leur petite taille devrait, normalement, rendre plus vulnérables, restent-ils à l'écart des offensives financières ? Parce qu'ils sont de peu de poids dans la course à la suprématie économique mondiale que se livrent la Chine et les Etats-Unis.
            La France représente encore un danger en raison de son pouvoir d'influence : son action n'a-t-elle pas été décisive dans le règlement de la crise géorgienne, dans le remplacement d'un G 8 par un G 20 plus respectueux du nouveau déséquilibre mondial ? Sa présence en Afrique n'entrave-t-elle pas les ambitions chinoises en matière de contrôle des terres agricoles et des terres rares ? L'Italie en revanche a perdu le peu de pouvoir d'influence qu'elle avait sur les affaires mondiales avec la présidence de Silvio Berlusconi.

            Mais revenons au déroulé de l’assaut -non militaire mais financier et monétaire- contre l'Union. Conformément à la stratégie recommandée par nos deux colonels chinois, l'attaque commença par les flancs, la Hongrie, puis l’Irlande, le Portugal et la Grèce. Viendraient ensuite l'Italie puis la France. Le choix de l'état maggyar était intelligent. Membre de l'Union mais hors de la zone euro, il  ne reçut aucun appui de l'Union et dut en appeler au FMI pour s'en sortir. Les autres états d'Europe centrale comprirent le message : la solidarité européenne est un leurre. Une fois avéré l'égoïsme des états fondateurs et moteurs de l'Union, les armes financières purent être dégainées.
             Concrètement, d'où viennent les assaillants ? De trois galaxies, dont l'une agit seule. Il s'agit des fonds spéculatifs. Dans leurs tactiques d’intervention, les hedge funds macro se servent de techniques souvent fondées sur les lois de la physique pure mais, fondamentalement, ils s'appuient sur les services d’anthropologues et/ou de politologues qui analysent les forces et faiblesses des cibles avant tout déclenchement des opérations. A ce titre, les divisions dévoilées avant et lors de Copenhague ont constitué un signal fort.
            Si les hedge n'obéissent qu'à eux mêmes, ils sont capables d'alliances opportunistes, ici avec les mercenaires des deux autres galaxies, liées entre elles. Dans la première, se trouvent les banques asiatiques qui, à partir de 2010, ont cessé de prêter en dollars aux banques européennes[5], provoquant une crise de liquidités d'abord rampante puis éclatante à l'été 2011.
            Dans la seconde, on trouve des Etats souverains, essentiellement la Chine, qui interviendront comme « sauveurs », tant auprès du FMI que par rachat d'actifs européens. Pour nourrir « sa riposte à la crise économique mondiale »[6], le Fonds devait accroître ses ressources. Seuls pouvaient lui en apporter les pays en excédent budgétaire : « En avril 2010, le Conseil d’administration du FMI a adopté une proposition d’augmentation et d’assouplissement des Nouveaux accords d’emprunt (NAE), en portant leur montant à près de 367,5 milliards de DTS (environ 560 milliards de dollars) avec 13 nouveaux pays et institutions participants, notamment un certain nombre de pays émergents dont la contribution à cette importante augmentation a été non négligeable. » 
            Inutile d'expliquer tous les termes techniques : il suffit de comprendre que les nouveaux pays riches ont apporté des liquidités ; en échange, leur poids dans la gouvernance du FMI a été augmenté de 9 % : « Ces réformes ont entraîné un relèvement de la quote-part de 54 pays membres, parmi lesquels la Chine, la Corée, l’Inde, le Brésil et le Mexique ont été les principaux bénéficiaires ».
            Et voici comment a été réduite l'influence à la fois de l'Union européenne et de ses états membres dans l'institution internationale la plus puissante au monde après l'ONU. Dans le même temps, la Chine a pu commencer ses emplettes d'actifs européens à bas prix et à ses conditions[7]

            Cet abaissement systématique de l'Union perdurera, d'autant que les Etats sont incapables de solidarité. La France et l'Italie, ventre mou de l'Union, ont résisté pour l'instant mais pour combien de temps encore ?
            Qu'on le comprenne : je n'éprouve aucune vindicte contre les dirigeants chinois et suis au contraire admirative de leur souci pour le bien-être de leur population. Oh, ce n'est pas par grandeur d'âme. A la tête d'un pays vaste comme un continent, peuplé de 1,3 milliard de citoyens, agité quotidiennement par des révoltes sociales, le parti communiste n’a pas le choix : s’il veut conserver à la fois son pouvoir et l'unité du pays, il se doit d'assurer travail et élévation du niveau de vie. Rien de démocratique dans sa démarche. Le nom du prochain président chinois, Xi Jinping, qui remplacera Hu Jintao n'est-il pas déjà connu, trois mois avant l'élection ?
            Ce qui m’exaspère, c’est la passivité de nos dirigeants politiques. Depuis que l’empire du Milieu est exonéré de tout droit de douane sur ses exportations grâce à son adhésion en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce, il livre une concurrence déloyale aux autres pays de la planète. Son objectif ? accroître toujours et encore ses exportations, au détriment de ses propres citoyens d’ailleurs, puisque la masse salariale n’y atteint pas les 50 % du PIB, contre 65 % en moyenne dans l’OCDE.

            Je prenais un petit déjeuner avec le directeur de la zone Asie de l’un des fleurons mondiaux des services aux collectivités. Cet ancien condisciple de Sciences Pô m’expliquait sa stratégie de financement au Viet-Nam d’où il revenait tout juste.
- C’est simple, l’Union européenne, je ne parle pas de la France bien sûr, est incapable de monter des financements intelligents. Moi, pour développer mon business dans l’Asie du Sud-Est, je n’ai pas le choix : je suis obligé de m’associer avec des groupes chinois. C’est ce que m’imposent l’Exim Bank of China, la banque de financement des exportations chinoises, ou la China Development Bank. Entre 2009 et 2010, ces deux établissements publics ont prêté plus de 110 milliards de dollars aux pays en voie de développement, soit plus que la Banque mondiale. Ils travaillent vite, tu as la réponse, positive ou négative, en quelque semaines, là où il faut négocier pendant des mois avec les banques européennes.
- Le bras armé de l’expansion chinoise alors ?
- Oui, d’autant qu’ils n’ont aucun scrupule. C’est comme ça que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. Une entreprise européenne ou américaine qui veut monter un projet d’infrastructures là-bas sera handicapée parce que la Banque mondiale ou le FMI exigeront toujours des conditions sur le respect des droits de l’homme, la démocratie… Avec l’Exim, pas d’ingérence : tu la trouves partout, au Nigeria, au Soudan.
- Je vois. A côté, les 7 milliards d’engagements de l’AFD
[8], c’est de l’argent de poche.
- Je te répète, le problème, c’est pas la France, c’est l’Union. A quoi ça sert d’avoir fait la zone euro si on n’est pas capable de s’unir financièrement ?

 

 

 



[1] Château de la Muette, dans le XVI° arrondissement parisien où siège l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).

[2] De 1958 à 1961, la Chine fut frappée par une famine qui causa la mort d’au moins 30 millions de personnes (chiffres officiels).

[3]Invasion du Turkestan oriental (1949), Invasion du Tibet (1950–51), Guerre de Corée (1950-53), Guerre sino-indienne (1962), Guerre du Viêt Nam (1965-70), Conflit sino-soviétique (1969), invasion des îles Paracels (1974), Guerre sino-vietnamienne (1979), Conflit territorial en mer de Chine méridionale impliquant le sultanat de Bruneï, la Malaisie, les Philippines, Taïwan et le Vietnam.

 

[4] Dépenses publiques sur PIB : 56,6 % en 2013, dette publique sur PIB : 82,3 % en 2010, 86 % en 2011, 90,2 % en 2012 (source INSEE).

[5] Cf. les déclarations des dirigeants des banques asiatiques.

[6] Titre de la fiche technique du 12 septembre 2012 du FMI, disponible en français sur son site.

[7] Cf les déclarations de Gao Xinging, dirigeant du fonds souverain chinois.

[8] Agence française de développement,

 

08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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