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jeudi, 18 septembre 2014

Un drôle d'été français - La guerre sans nom

 Mardi 7 août 2012

Le jour où la zone euro n’a pas explosé
 

         C’est mon anniversaire aujourd’hui. Comme pour chaque anniversaire dans la famille, j’ai cuit le gâteau basque hier soir -il est meilleur quand on le laisse reposer 24 heures. Les enfants se lèvent. Ils se précipitent sur les boules de pâte crue que je leur ai laissées. Malheur à moi si les parts ne sont pas égales ! Il y aura une grande tablée à midi. Du travail en perspective. Du plaisir aussi.
            D’abord, je file au marché à Bayonne. Un tour au distributeur du Crédit agricole en bas de la rue Passemillon. M..! La carte est bloquée. Je refais le numéro. Ouf, ça marche ! Tandis que je retourne benoîtement sous les Halles, le frisson d’inquiétude tout juste ressenti me ramène dix mois en arrière.    

            C’était fin novembre. J’assistais à un colloque sur la finance solidaire en Europe. La salle, relativement petite, était emplie de gestionnaires de fonds. Un membre du cabinet du Commissariat européen à la concurrence expliquait comment son bureau préparait un passeport européen pour les fonds solidaires et un « brevet » pour les associations éligibles à ces derniers. Moi, j’étais plongée dans mon portable à prendre des notes, insensible aux mouvements et murmures qui montaient. L’orateur abordait le thème de la gouvernance des associations quand un cri jaillit dans la salle.
- Assez avec la gouvernance des associations et de la finance ! De toute façon, des associations, il n’y en a pas assez pour investir dedans ! Nous, ce qu’on veut, c’est une bonne gouvernance des états !                  
          Saisi, l’orateur s’interrompit. La bronca fut sévère. Les injonctions fusaient de toute part. Ces hommes -même solidaire, la finance est peuplée majoritairement de mâles- se levaient, s’apostrophaient dans une cacophonie inouïe dans de telles instances. Je me tournai vers mon voisin.
- Qu’est-ce qui se passe ?

- Ce qui passe, c’est qu’on va tous crever, voilà ce qu’il se passe. Le crédit est bloqué, les banques paniquent et l’euro va sauter. Et cet imbécile nous parle de la gouvernance des associations !
- Bof, l’euro, on s’en passera, non ?
Mon interlocuteur me regarda avec commisération.
- L’euro, ce n’est pas la question. Si la zone euro se défait, les taux d’intérêt de la dette française explosent. Déjà, avec les taux bas qu’on a aujourd’hui, le remboursement des intérêts, c’est le tiers de l’impôt sur le revenu. Alors, sans l’euro, on se retrouve avec des échéances énormes à rembourser. Et pour les rembourser, rien d’autre à faire que virer au moins 15 % des fonctionnaires et, pour ceux qui restent, 20 % de baisses des salaires. Et sans compter les entreprises obligées de mettre la clé sous la porte, et les salaires et les retraites qui ne pourront plus être versées parce que les banques auront mis la clé sous la porte…
            Je le fixai, interloquée, mais il s’était levé pour rejoindre la rangée où s’agglutinaient des camarades tout aussi remontés et vociférant. Je fermai mon portable et quittai mon siège.
            Comme tout individu apprenant une catastrophe, j’étais dans le déni. Ces financiers, bien propres sur eux, me rappelaient mon fils aîné quand il me reprochait de ne pas avoir été assez sévère avec lui : « si tu m’avais plus serré, j’aurais fait une prépa et je gagnerais plus aujourd’hui ». Des enfants pris dans la main dans le pot de confiture ! Je m’approchai d’un ami lui aussi debout dans sa travée et lui fis part de mes réflexions un peu moqueuses sur l’assemblée. A son tour, il me toisa, exaspéré.

- Tu veux pas comprendre ou quoi ? La zone euro est en train de sombrer et ces imbéciles de la Commission n’ont rien d’autre à faire que concocter des UNICTS ! Tu ne crois pas qu’ils pourraient se consacrer aux vrais problèmes ?
            Je me refusai toujours à comprendre. Remontant vers la sortie, je me retournai. L’organisateur du colloque était monté sur la tribune, remerciait le pauvre fonctionnaire européen ainsi que l’assemblée qui ne l’écoutait pas. Tandis que je restai là à observer, une odeur un peu aigre monta à mes narines. Je reniflai, souris, c’était l’odeur de la salle de hand de mon adolescence ! Puis je hoquetai. Ce que je humais, c’était une sueur un peu âcre, cet arôme qui vient non de l’effort physique mais de la peur. C’était donc vrai, ces hommes en costume-cravate et femmes en tailleur-talons pétaient la trouille.
            Un peu inquiète, j’appelai le lendemain notre correspondant chez l’assureur avec lequel nous devions monter notre premier fond de titrisation. Il me rassura en quelques mots, ironisant sur la crainte des financiers pour leurs bonus. En l’occurrence, mes années de journalisme ne me servirent à rien. Pas une seconde, je n’imaginai un mensonge alors que, pour mon interlocuteur, l’essentiel était de diffuser un message rassurant sur la santé financière de son groupe…

            Quelques jours plus tard, c’était juste après un énième sauvetage de la zone euro, je retrouvais mon ami l’ancien agent de change et lui narrai le colloque. Loin de partager mon ironie, il se montra insupportablement sérieux.
- Oui, la situation est très grave. Depuis que Papandréou a décidé de soumettre par référendum le plan d’aide de l’Union[1], la zone euro a perdu toute crédibilité.
- C’est l’Europe, pas la zone euro qui a perdu sa crédibilité. Comment peut-on infliger de tels sacrifices et de tels abandons de souveraineté à des populations qui n’ont rien à voir avec la gabegie et la corruption de leurs gouvernements ? Une corruption nourrie d’ailleurs de l’extérieur : MAN et Siemens, il y a bien des enquêtes en Allemagne sur les pots-de-vin qu’ils ont versés aux dirigeants grecs non ? Et là, on parle en milliards déversés pour les contrats des Jeux Olympiques, pour le métro, pour des sous-marins qui ne fonctionnent pas, j’en passe et des meilleures ! Plus le maquillage des comptes publics par Goldman Sachs pour entrer dans la zone euro !

- Que vous aillez raison importe peu, ma chère. Si la zone euro éclate, on se retrouvera dans une situation pire que celle d’aujourd’hui. Vous rappelez-vous la sortie de la livre britannique, de la peseta espagnole et de la lire italienne du SME[2], en 1992 ?
- Oui, d’ailleurs la crise était intervenue après un référendum, là aussi. C’était sur l’adhésion de la Suède à l’Europe.
- Non, le Danemark. Quoiqu’il en soit, la dévaluation s’est traduite pour les Anglais par une dévaluation de 30 % par rapport à leur ancien cours pivot et par une inflation terrible. Dans notre monde, l’impact positif des dévaluations est toujours annihilé par l’inflation.
- Si ça a été si terrible pour le Royaume-Uni, alors pourquoi n’a-t-il jamais voulu venir dans l’euro ? Dans les années 90, je suis allée souvent à Londres, je peux dire qu’à chacun de mes déplacements, je voyais la ville –et les Londoniens- devenir de plus en plus riches.
- Tut Tut Tut! L’euro, c’est vous autant que la finance !

- Non, d’ailleurs j’avais voté « nul » pour Maastricht, en me retenant de ne pas voter non.
- C’est bien vous qui m’aviez raconté l’histoire de ce directeur financier d’une grande caisse de retraite qui a acheté un max de dette souveraine grecque en 2008, pour doper les rendements du portefeuille ? Les retraités, ils étaient bien contents d’avoir des taux élevés non ? et les cotisants aussi ? Tout le monde profite de l’euro !

            De tous les financiers que j’aurais rencontrés, de l’été 2011 au printemps 2012, aucun n’aura émis de doute sur la nécessité de l’euro. Contrairement aux préjugés, ils ont la reconnaissance du ventre : le sauvetage de l’euro, c’est d’abord le sauvetage des banques.
            A la fin de ce mois de décembre 2011, la Banque centrale européenne allait concocter un instrument inédit, le LTRO ou « Longer term refinancing operation », « Opération de refinancement à long terme », destiné exclusivement aux banques.
            Les dirigeants politiques auraient voulu que la BCE rachetât des obligations publiques des pays en difficulté –Espagne, Grèce, Italie, Portugal. Inquiet du risque de « credit crunch » ou raréfaction du crédit, Mario Draghi qui venait de remplacer Jean-Claude Trichet, préféra allouer des prêts aux banques de la zone euro. Les chiffres donnent le vertige : en décembre 2011, puis en février 2012, les banques européennes auront obtenu pour 1 000 milliards[3] d’euros de prêts à trois ans, au taux ridicule de 1 %. A ces montants s’ajoutent ceux engagés par les « fonds publics » -autrement dit l’argent du contribuable européen : 1 100 milliards d’euros selon le FMI[4], pour secourir l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal entre décembre 2009 et juin 2012.
            Pour info, 1 000 milliards d’euros, c’est la moitié du PIB français, autrement dit, la moitié de la richesse créée en un an par la cinquième puissance économique mondiale…
            Cet effort a-t-il été récompensé ? Poser la question, c’est y répondre, au moins pour les peuples : aucun jamais n’est descendu dans les rues pour remercier l’Europe de son aide. Ce serait même le contraire.

            En revanche, les banques sont, à court terme, les grandes gagnantes puisque les dettes publiques difficilement remboursables passent petit à petit de leurs portefeuilles aux bilans des institutions publiques –Banque centrale ou Fonds de soutien européen. Quand je parle de court terme, il faut entendre un horizon de deux à trois ans. Car les banques ne sont toujours pas tirées d’affaire.
            Ce n’est pas moi qui le dit : « La fuite des capitaux et la fragmen­tation du marché (interbancaire) qui en ont résulté ont fragilisé les ­fon­dements mêmes de l'Union, à savoir des marchés intégrés et une politique monétaire commune effective »[5]. Et les experts du FMI de marteler : le risque demeure d’« une redénomination de la monnaie ». En termes moins savants, on dirait « retour au franc, à la lire, au mark, etc… ».

            Les Fronts de gauche et national auraient-ils infiltré le FMI ?

 

 

 



[1] Le 31 octobre 2011, le premier ministre grec, Georges Papandréou, a décidé d’organiser un référendum sur l’effacement partiel de la dette du pays, obtenu en échange d’une aide, sous forme de prêts internationaux, de 100 milliards d’euros.

[2] Système monétaire européen, créé en 1979, qui contenait les marges de fluctuation des monnaies européennes autour d’un cours pivot de référence, appelé ECU. Il sera abandonné en 1993, après les attaques spéculatives du fonds détenu par le financier américain George Soros.

[3] 489 milliards d’euros en décembre puis 529 autres milliards trois mois plus tard.

[4] « Rapport sur la stabilité financière dans le monde » présenté à Tokyo en octobre 2012, disponible sur le site du Fonds monétaire international.

[5] Citation tirée du Rapport sur la stabilité financière dans le monde de 2012.

 

08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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