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jeudi, 11 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Vendredi 27 juillet 2012
Adieu usines, bonjour supermarchés !

 

              Nous repartons ce matin pour Paris, en faisant un crochet par Annecy que nous voulons faire connaître à notre fils. Les autoroutes ne sont pas trop surchargées jusqu’Albertville. A la sortie, nous prenons la départementale 1508.

           Aux entrées et sorties des villes, des zones commerciales d’enseignes à bas prix. C’est le visage de la mondialisation pour la France : stagnation des salaires et, en contrepartie, produits de base à bas prix en provenance de Chine ou du Bengladesh. Sur France Musique, Michangeli joue les 4 ballades opus 10 de Brahms.

            Un flash me revient : il y a six mois, je rencontrais à Cologne, en Allemagne, les gérants d’une société de gestion spécialisée dans l’ISR (investissement social responsable). Le Thalis avait eu un problème à Mons où nous avions dû le quitter pour emprunter un train « classique ». La ligne, ancienne, longeait des villages et des petites villes. A chaque fois, l’entrée des bourgs était occupée par une petite manufacture, souvent rouge, un peu comme celles de la Saint-Denis il y a encore 30 ans : en briques rouges avec une grande cheminée et un toit en W. Les paysages parlent mieux qu’un long discours. Et pourtant, des discours, j’en ai entendus !

            Il est syndicaliste. Il occupe un rang élevé dans la branche métallurgie de la CFDT. Alors, l’industrie –et la désindustrialisation- il connaît…

- Entre 1989 et 2010, l’industrie et la métallurgie ont perdu 30 % de leurs effectifs.
- Autant ? Mais on n’en a pas tant parlé que ça !
- Parce que les médias ne parlent que des licenciements dans les très grandes entreprises. Dans la réalité, ce sont les intérimaires qui trinquent -1 salarié sur 4 de la métallurgie est un intérimaire- et les jeunes.
- Ils sont moins payés ?
- Pas payés du tout ! Ils ne sont pas là ! Comme les directions favorisent les départs volontaires et ne remplacent pas les départs à la retraite, elles n’embauchent plus suffisamment de jeunes…
            Nous étions en mai, en pleine campagne présidentielle. L’association « Ethique et investissement » organisait un colloque sur « la responsabilité des entreprises dans les restructurations ». Durant les débats, ce syndicaliste donna le nombre de plans sociaux majeurs (7) qu’il attendait pour la rentrée. Un thème totalement absent des débats politiques. Une fois de plus ce jour-là, je sentis comment les dirigeants avaient peur de leur peuple. Du coup, j’eus des doutes sur la validité du plaidoyer pour « une anticipation des restructurations ».
            Les « élites » prennent-ils leurs électeurs pour des imbéciles ? Qui aujourd’hui ne connaît une amie, un oncle, un fils au chômage ? Le passage par les hangars de pôle-emploi est un passage obligé dans la vie d’adulte. Dès juin 2011, le petit comité qui s’occupe de l’organisation des « mardis de l’économie » du Collège des Bernardins à Paris, et dont je fais partie, avait prévu que le thème de l’emploi serait celui de l’année 2012-2013. Je veux bien croire que nous constituons un brillant aréopage, il n’empêche : pour chacun d’entre nous, il était évident que le chômage allait exploser.
            Si les dirigeants mentent autant par omission, ce n’est sans doute pas seulement par peur mais aussi parce que nous, les Français, voulons encore croire à la légèreté. Encore un instant, Monsieur le bourreau !
            Et de fait, en déambulant dans Annecy, qui penserait que la France, comme une grande partie de l’Europe, s’apprête à entrer en récession ? La foule se presse le long des canaux, les terrasses des restaurants sont remplies, les magasins débordent sur les trottoirs et les touristes flânent avec, souvent, un sac de courses à la main.
            Une remarque cependant : comme à Avignon durant le festival, je ne vois aucun visage « bronzé ». Pourtant, les Français qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée existent aussi à Annecy mais ils sont relégués dans le quartier de Novel-Teppes, au nord de la ville, et n’en sortent pas.
            Pourquoi en sortiraient-ils ? Le chômage frappe là plus qu’ailleurs, enfermant ses victimes dans la honte et le repli. Que nous dit l’Observatoire des inégalités ? « Dans une même agglomération, le taux de chômage dans une zone urbaine sensible (Zus) est près de deux fois et demi plus élevé qu’ailleurs : 22,7 % contre 9,4 % en 2011. (…) Depuis 2008, l’écart du taux de chômage entre les Zus et le reste du territoire des agglomérations où elles se situent s’est creusé.. Entre 2008 et 2011, le taux de chômage y est passé de 16,7 % à 22,7 %, alors qu’il augmentait de 7,6 % à 9,4 % dans les autres quartiers des villes comprenant une Zus : + 6 points d’un côté et + 1,8 point de l’autre. »
            Trop souvent, la Venise des Alpes est réduite à une image de carte postale. Qui sait son rôle crucial dans l’essor économique de la France? Annecy concentre les avatars de l’économie française. C’est dans cette ville et le long de la Départementale 1508 que démarra véritablement l’industrie française hydraulique, celle des aciers et de l’aluminium avec Ugine et Pechiney… Mais c’est aussi ici que naquit Carrefour, en 1960, dans la mercerie de Marcel Fournier, rue Vaugelas.

           Un demi-siècle plus tard, l’entreprise est devenue le deuxième distributeur mondial et le premier européen. Carrefour reste le symbole de la grande distribution, elle qui, souligne Philippe Sassier[1], « a mis la main sur le premier moteur de l’économie française : la consommation. Du coup, elle domine aussi la production. Les fournisseurs vivent dans la crainte de perdre des commandes. (…) Il y a aussi les industriels qui plient bagage parce que les hypers cassent les prix et délocalisent leurs achats. Ils n’ont aucun scrupule à pervertir la mondialisation en allant acheter là ou les prix sont les plus bas et où il n’y a pas de lois sociales. »

            Dans cette course aux prix les plus bas, les perdants sont évidemment les emplois industriels en France. Les politiques ont bien cherché à résister en allégeant les charges sur les bas salaires, en défiscalisant les heures supplémentaires… Ce ne sont que des cautères sur des jambes de bois : « les cotisations sociales à charge des employeurs français représentaient 43,8 % des recettes de protection sociale en 2008 contre seulement 34,9 % en Allemagne et 32,5 % au Royaume-Uni »[2].

            Il est numéro deux d’une grande banque d’investissement française. Notre projet de fonds de titrisation pour activités à caractère sociétal le séduit. Il est prêt à nous aider. Puis, comme dans la quasi-totalité de nos entretiens, il se met à disserter sur la situation économique de la France et, plus précisément, de l’emploi.
- L’abaissement des charges sur les bas salaires est non seulement inutile et coûteux en termes de manque de rentrées pour les organismes sociaux, il est terrifiant pour l’image du travail dans notre pays.

- Faciliter l’embauche, vous trouvez cela terrifiant ?
- Parce que l’embauche a été facilitée ? Première nouvelle. Le chômage structurel français est le plus élevé d’Europe ! Le coût du travail a été abaissé ? Il est le plus élevé d’Europe ! L’ouvrier français est payé 35 euros de l’heure en France
[3], plus qu’en Allemagne et bien plus qu’en Italie -26 euros- ou au Portugal -10 euros.
- Attendez, le SMIC horaire, c’est un peu plus de 7 euros non ?
- 7 euros, c’est ce que touche le salarié. Mais il faut ajouter les charges sociales, celles qu’il paie et celles que paie son entreprise… Le salarié et l’entreprise sont les vaches à lait des Français : ils paient pour la Sécurité sociale, pour la famille alors que ces dépenses n’ont rien à voir avec le travail. Sur 100 euros de charges sociales, seulement 45 vont aux indemnisations liées au travail (accidents, chômage et retraite). Le reste va à la famille et aux soins médicaux. Notre système de protection sociale est peut-être le meilleur au monde –ce qui reste à démontrer-, il est aussi le plus inégalitaire : les travailleurs sont les seuls à payer.
- En vous écoutant, je me dis que cela devrait nous donner un certain orgueil… Pour ma part, c’est vrai, je suis assez remontée quand je vois la différence entre le net et le brut.
- Comme tous ceux qui travaillent. Mais, à force de prendre les salariés pour la poule aux œufs d’or, ils crèvent à petit feu. L’indifférence est totale à l’égard des charges qui abaissent leurs salaires : 393 milliards d’euros en 2009, c’est le cinquième du PIB. Et sur ce montant, la majorité, soit 217 milliards, servent à financer les dépenses maladie et famille, des dépenses qui n’ont rien à voir avec le travail.
- Vous me donnez le tournis avec vos chiffres.
- Regardez au-delà des chiffres ! Si le salarié est ainsi volé d’une partie de son revenu, c’est parce qu’aucune considération n’est accordée aux créateurs de richesse. Les entrepreneurs sont, d’emblée, considérés comme des riches égoïstes. Quand au salarié, il est devenu une charge qui abaisse la rentabilité. Et quand il travaille dans l’industrie, c’est encore pire : on le voit comme un pollueur en puissance. Le travail a perdu toute aura.
- Vous êtes sévère. Les chômeurs qui sont prêts à prendre
n’importe quoi, vous ne croyez pas que, pour eux, un CDI, c’est le Pérou ?
- Je vous précise ma pensée : lorsque l’on défiscalise les bas salaires au lieu d’alléger les charges, c’est le travail qui est démonétisé. Et les incidences, elles ne se lisent pas dans le comportement des travailleurs : les Français jouissent d’une excellente réputation dans le monde. D’ailleurs leur productivité horaire est de 55 euros environ, contre 49,1 euros dans la zone euro. Non, les répercussions, elles se lisent dans l’offre industrielle : avec des travailleurs peu payés, on ne produit que du moyen de gamme.
- Vous pensez à l’automobile par exemple ?
- Exactement. Qui sont les clients potentiels aujourd’hui ? Les très riches et les très pauvres. La classe moyenne, elle s’appauvrit, et le peu qui lui reste à la fin du mois, elle l’épargne. Il faut donc aux très riches une offre de très haute qualité. Nous ne savons plus le faire, sauf dans le luxe !
- Et les pauvres ?
- Ils vont devenir de plus en plus nombreux. Pour leur permettre d’acheter, il ne faut pas de la mauvaise qualité, importée d’Asie. Il faut de l’inventivité. Inventivité dans le process de production, inventivité dans la définition du produit… Citroën, ça vous dit quelque chose ? Citroën, c’était à la fois la deudeuche, pour le peuple, et la DS, pour De Gaulle…


 

 

08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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