vendredi, 12 septembre 2014
Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm
Jeudi 26 juillet 2012
Du Michigan à la Provence, les ravages de la crise financière
« L’économiste ne peut résoudre la crise, puisqu’il en est la cause : il l’a produite. Toute économiste est nul par principe, pire meurtrier dangereux… ». Dans la série estivale du Figaro « ces livres qui ont fait scandale », Thierry Clermont chute sa recension du livre de Jean-Edern Hallier, « Lettre ouverte au colin froid[1] », sur un avertissement : « aujourd’hui le moindre paragraphe de cette mazarinade enverrait son auteur devant la 17ème chambre correctionnelle ».
Serait-il interdit de dire la connivence des économistes avec les banques ? de se gausser que tel économiste en chef français d’une grande banque sino-écossaise n’a pu faire paraître son essai sur l’implication de la Chine dans la crise actuelle chez le plus grand éditeur de la place parisienne ? et cela malgré que celui-ci le lui avait commandé et que celui-là avait attendu d’être à la retraite pour rédiger son essai ? Doit-on juste se féliciter qu’il ait trouvé un autre éditeur, plus courageux et moins prestigieux ?
Doit-on se désoler de voir défiler dans les émissions-débats des économistes dont on sait qu’ils sont attachés à des établissements bancaires divers et variés ? Le conflit d’intérêt serait-il réservé aux politiques ?
Et pourquoi ne puis-je me défaire de ces questions et me rasséréner ? Il est 7 heures et demi du matin, je me trouve au fond de la vallée, au refuge de Rosuel. Au nord, le mont Pourri, à l’est le col de la Chail, au sud, l’Aliet. L’air est pur, tranquille, les oiseaux trillent et les tracteurs claquètent. Debout devant les poteaux du terrain de foot, le médecin du village enseigne le TaiChi Qang à une poignée d’humains disparates : une petite famille, un Peiserot et moi-même. Il fait froid, les enfants courent pour se réchauffer. Ici aussi, la Chine vient à la France, elle lui apporte sérénité et énergie mêlées d’autant mieux assimilées que le village n’en a pas besoin. Moins de 1 000 âmes, deuxième au concours départemental des villages fleuris, une multitude de bénévoles, un budget excédentaire.
La grande dépression n’est pas arrivée jusqu’ici. Oh, les élus ne sont pas obtus. En décembre dernier, ils ont fait examiner la qualité des emprunts communaux : « il en est ressorti que la commune n’avait contracté aucun emprunt dit à risque » se réjouissent-ils dans le bulletin municipal de juillet.
Les commerciaux de Dexia ne se sont pas engagés au fond de la vallée. Ils préféraient labourer les départements de la Seine-Saint-Denis ou du Nord pour placer leurs « emprunts pourris ». L’héritière du Crédit local de France mariée au Crédit communal de Belgique aurait distribué quelques 25 milliards d’euros de prêts toxiques à plus de 5 000 collectivités locales qui se retrouveraient à rembourser jusqu’à un quart de plus que le montant emprunté.
Le mécanisme était simple : des emprunts structurés dont l’évolution du taux d’intérêt était lié à une devise -franc suisse, livre britannique, dollar ou yen. Quelques exemples ? La ville d’Antibes qui, pour 60 millions d’euros empruntés, s’est retrouvée avec une ardoise supplémentaire de 21 millions. Ou encore Saint-Etienne dont le maire a contre-attaqué. En novembre 2011, lors du congrès des maires, Maurice Vincent déclarait à l’AFP : « A partir de maintenant, Saint-Etienne va payer les emprunts Dexia au prix du marché, et pas un euro de plus, et non à des taux de 8%, 10%, et plus, puisque l'Etat a reconnu qu'il y avait un problème et qu'il a garanti ces emprunts ». Si le cave stéphanois a pu, avec succès, se rebiffer, c’est parce que le contribuable a payé. 70 milliards des prêts douteux du numéro un des prêts aux collectivités locales ont été garantis par l’Etat, dont ceux de Saint-Etienne, évalués par Maurice Vincent entre 6 et 7 milliards d’euros…
L’ironie de l’histoire, c’est que Dexia est, avec les Banques populaires et les Caisses d’épargne, l’établissement bancaire en France le plus affecté par la crise financière de 2008. Or, ces trois maisons sont les héritières du mouvement de création bancaire initié par la « société civile » à partir du milieu du XIXème siècle. ; tout comme le Crédit agricole, aujourd’hui englué dans ses frasques grecques, hier porté par Jules Mesline sur les fonds baptismaux à cette époque, en 1884. Les Caisses d’épargne ressortent du catholicisme social, les Banques populaires du côté laïcard. Lassé de l’exclusion du crédit qu’octroyaient les grandes banques de l’époque, André Lasserand crée la première des Banques pop en 1878 à Angers à destination des commerçants et petits industriels. Quant à Dexia, elle jouissait d’un double héritage : catholique avec le Crédit communal de Belgique, idem du côté français, avec un peu de sang franc-maçon. Le Crédit local de France était le bras armé de la 3ème République, née dans le sang de la Commune.
Alors, les fonctionnaires les 4’arts et les X surmontèrent la défaite de Sedan en dotant villes et départements des outils financiers nécessaires à leur équipement par le biais de du Crédit local qui fut abrité, jusqu’en 1966, au sein de la Caisse des dépôts. A la puissance publique renaissant de ses cendres faisaient écho les innovations des jeunes ingénieurs : machines Compond pour locomotives, soie artificielle, radioconduction… Coopératives ou commerciales, les banques se répartissaient le marché du crédit. Aux banques commerciales - Crédit mobilier des frères Pereire ou Banque de Paris et Pays-Bas de Cernuschi et Delahante, les chemins de fer, la sidérurgie ou l’aménagement de la Plaine Monceau, aux coopératives et mutualistes les crédits aux quincaillers et aux paysans ou les livrets d’épargne aux ouvriers. Les banquiers s’enrichissaient, les Français et la France aussi.
C’est cet héritage vieux d’un siècle et demi qui s’est dilapidé en moins de vingt ans, autour du deuxième millénaire.
Aux successeurs de Méline, La Rochefoucauld ou Lasserand, être bourgeois ne suffit plus. Ils voulurent se faire gentilhomme. Le grand Mamamouchi avait ses mules à la turque ? Ils auraient leur banque d’investissement. FSA, quatrième rehausseur de crédit[2] américain pour Dexia, CIFG pour les Caisses d’épargne, Natixis pour les Banques Populaires, combien de milliards d’euros partis en fumée ? et combien de prêts interdits aux entreprises ?
L’installation à l’arraché d’un médiateur du crédit en octobre 2008 a limité la casse. Tout comme, le même mois, la garantie étatique pour 320 milliards d’euros aux opérations de banque et une aide à la recapitalisation de 40 milliards auxquels s’ajouteront trois mois plus tard 10,5 milliards d’euros rassemblés dans l’urgence.
La valse des milliards donne le tournis : entre la mi-septembre 2008 et la fin de 2009, tant les Etats-Unis que l’Union européenne ont « mis 27 % de leur PNB sur la table, pour arrêter le tsunami ».[3]
Pourquoi de telles sommes ? C’est que les banques ne se faisaient plus confiance, comme les propriétaires n’ont plus confiance en leurs locataires.
Ici aussi joue le mécanisme de la défiance mais il est différent de celui qui joue entre bailleurs et locataires. Dans ce cas, les premiers ont accumulé trop d’impayés pour se fier à la bonne mine des candidats. Les banques, elles, sont responsables à 100 % de leur propre déconfiture et c’est entre elles que règne la suspicion.
Le mécanisme est simple. Pour prêter 100 euros à une entreprise ou à un particulier, une banque a besoin d’avoir des fonds propres suffisants. Ces capitaux propres, ils sont formés de la masse des bénéfices accumulés au cours des années et des apports d’argent frais par les actionnaires. Les banques qui sont, théoriquement, très surveillées par les Banques centrales, ne peuvent prêter trop d’argent : la limite se situe autour de 8 % des fonds propres. Donc, pour prêter 100 euros, la banque doit avoir 1250 euros de capitaux propres (100 *100/8).
L’argent que constituent ces capitaux propres, la banque va, comme l’épargnant lambda, les placer en contrepartie des prêts qu’elle a consentis, que l’on appelle ses actifs. Et c’est là que commencent les problèmes. Au lieu de se contenter d’un rendement de l’ordre de 2 %, la banque va chercher à en avoir plus. Pour cela, elle va acheter des actions de sociétés un peu spéciales qui lui promettent 4 % d’intérêt par an. Ces sociétés un peu spéciales, ce sont les fameux rehausseurs de crédit dont nous avons parlé plus haut. Ils mélangent des crédits immobiliers consentis par des établissements de crédit immobilier à des Américains pauvres, incapables de rembourser leurs prêts, sauf à condition de vendre leur maison ou leur appartement plus cher qu’ils ne l’avaient acheté. Ce travail de mélange de crédits, dit de titrisation, ne pouvait fonctionner qu’à la condition que les prix du marché immobilier grimpent sans cesse. Souvent accusée dans les médias, la sophistication de la titrisation n’a rien à faire ici. Ce qui est en cause, c’est une vieille escroquerie à la Ponzi[4]. Dès que le marché immobilier s’est grippé et que les propriétaires n’ont plus été capables de vendre leur bien plus cher qu’ils ne l’avaient acheté, le château de cartes s’est écroulé.
Que s’est-il alors passé pour les banques ? Elles se sont retrouvées avec des capitaux « toxiques ». D’un côté, des actifs (les prêts aux entreprises et aux particuliers), de l’autre des passifs dont la valeur réelle était inférieure à celle inscrite dans leurs livres de comptes. Presque toutes les banques avaient placé leur argent dans les produits miracles ou subprimes. Chacune d’entre elles savait que ses capitaux propres valaient moins que ce qui était affiché, que sa santé était atteinte ; elle savait aussi que la situation était identique chez la voisine.
Conséquence : elles ont eu peur l’une de l’autre. Et la machine du crédit s’est bloquée. Chaque jour en effet, les banques se prêtent entre elles. Une banque à qui vous demandez un prêt n’a pas forcément intérêt à l’adosser à ses capitaux propres, il lui souvent plus rentable d’emprunter à un autre établissement l’argent qu’elle vous prêtera à son tour.
Et les conséquences de cet aveuglement des banques, quatre ans après le déclenchement de la crise des subprimes, nous continuons à les payer jour après jour, et les Européens un peu plus que les Américains.
Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans la zone euro, l’économie est financée aux trois quarts par les banques et pas par le marché (Bourse, capital-risque…). Aux Etats-Unis, la proportion est exactement inverse. Alors, quand on coupe le robinet du crédit bancaire, la sortie de crise est beaucoup plus lente ici que là-bas…
[1] Pamphlet écrit en 1979, adressé au président Valéry Giscard d’Estaing
[2] Aux Etats-Unis, un rehausseur de crédit est une société financière qui achète des crédits aux banques qui les ont accordés et les réunit ensuite dans un « portefeuille. Entre 2002 et 2007, ces portefeuilles ont été majoritairement constitués à partir de crédits immobiliers accordés à des emprunteurs impécunieux, incapables de rembourser leurs prêts. Leurs défaillances ont entraîné la « crise des subprimes ».
[3] Chiffre donné par Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne de 2003 à 2011, lors de la conférence du 17 mai 2012, à l’Institut Peterson, Washington.
[4] Dans les années 20, Charles Ponzi monta à Boston une fraude ingénieuse : il promettait à ses clients des rémunérations élevées qui, en fait, venaient de l’argent apporté par les clients suivants. Ce système fonctionne tant que de nouveaux clients entrent dans le système. A l’arrêt des recrutements, il s’écroule. Le système de Ponzi a souvent été utilisé, notamment par Bernard Madoff, dont l’arnaque a duré presque 50 ans, à partir de 1960.
08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
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