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samedi, 13 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Dimanche 29 juillet 2012

 Paris, la ville aux 2 SDF, ou l’exclusion fille de la mondialisation

 


            Après un samedi passé dans les lavages de linge et les reconstitutions de vivres, une journée de liberté ! Ce n’est pas encore Paris au mois d’août, mais ça en a la saveur. Avec une amie, nous dégustons une glace de chez Bertillon, le long des rues de l’île Saint-Louis. Un plaisir bien gagné : nous rentrons d’une longue ballade à vélo, de la gare Montparnasse jusqu’à Verrières-le-Buisson et retour sur l’île.

            Il est neuf heures du soir, nous sommes tranquilles et allons nous asseoir sur le quai en contrebas du pont de Sully. Le sol est encore un peu mouillé mais on s’en moque. Partout, de jeunes gens en vélib. Une vieille femme passe sur la gauche. Elle traîne un caddye débordant de frusques et nippes. Paris, la ville des SDF ! Les sans domicile fixe et les sans difficultés financières y cohabitent dans l’indifférence réciproque.

           Me revient une anecdote vieille de quelques années déjà. A l’époque, je partais tous les mardi soir distribuer la popote aux sans-abris des Halles. Avec mes amis, nous préparions la soupe et les sandwiches dans le local puis faisions la tournée des sans-abris. Peu avant l’été, nous avions contacté une assistante sociale de la ville de Paris pour qu’elle s’occupe de l’un de nos amis.

- Vous plaisantez ? Je n’ai plus rien. Avant, je faisais durer mon budget annuel jusqu’en septembre, maintenant, c’est fini dès le mois de mars. On peut pas tout avoir, le vélib et les aides sociales.

           Nous nous en étions retournés penauds sans trop savoir quel crédit accorder à ses paroles. Il n’empêche. Pour la première fois depuis la Libération, la politique « sociale » de la ville de Paris consiste à aider les plus forts au détriment des plus faibles. Ces dernières années, les aides au transport pour les vieux, les aides aux familles nombreuses ont été peu à peu supprimées ou abaissées. En revanche, combien de millions ont été déversés pour les pistes cyclables et les vélibs ? Des vélibs réservés aux jeunes en bonne santé, tant physique que financière. Et, sous le couvert de l’écologie, combien de projets dispendieux : l’aménagement de la place de Clichy, la reconstruction du forum des Halles qui rejette les sans-abri aux périphéries, le chantier pharaonesque du tramway…

      Paris a toujours été une ville de riches mais, ces dernières années, ce caractère s’est accéléré, tandis que les pauvres et les classes moyennes s’éloignaient. Il ne faut pas y voir une volonté politique machiavélique mais bien la résultante de la révolution technologique et économique des vingt dernières années.

           Sociologue hollandaise, Saskia Sassen[1][1] étudie la transformation des « villes globales » à l’heure de la révolution digitale et de l’expansion de la finance. Sa thèse ? La finance a beau être dématérialisée, elle a besoin, à un certain moment, de toucher le sol. Elle devient visible parce qu’il faut à ses collaborateurs des logements, des restaurants, des magasins, des infrastructures de transport et de connectivité.
           Dans les années 80, ces villes globales se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui, elles sont plus d’une trentaine. New York, Londres, Paris ou Tokyo ont été rejointes par Amsterdam, Buenos Aires, Dubaï, Francfort, Hong Kong, Mexico, New Delhi, Pékin, Sao Paulo, Seoul, Shanghaï, Sydney et Zurich. D’une part, leurs édiles se battent tous pour attirer l’industrie financière, d’autre part, elles sont toutes reliées entre elles. « Les prix de l’immobilier dans le centre de New York sont plus liés à ceux de Londres ou de Francfort qu’à ceux du reste du marché immobilier dans le reste de la ville et dans ses banlieues ».
            A la dispersion des processus de production[2]
[2] s’allie ainsi la concentration des pouvoirs financiers et économiques dans les cités globales. Et la compétition entre elles est telle que ce directeur d’un grand groupe immobilier se lamente de la « mollesse » de la mairie de Paris.

- A Londres, quelles que soient les couleurs des équipes en place, les maires se sont toujours battus pour renforcer la force de la City. Paris a laissé partir ses équipes de recherche financière à Londres.
- C’est surtout à cause des cotisations sociales sur lesquelles un maire ne peut rien. Je croyais que Paris était l’une des villes les plus attractives au monde…
- Oui, pour ses grandes écoles ou universités, pour ses équipements culturels, pour ses congrès internationaux. Mais il faut se méfier de ces classements. Par exemple, ils prennent en compte le nombre de sièges sociaux parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales. Or, en France, les sièges sociaux sont concentrés dans la capitale.
La réalité est que nous risquons une rapide dégradation. D’abord à cause des prix de l’immobilier et du coût de la vie. Ensuite à cause de l’insécurité. Avant, elle était cantonnée dans les banlieues difficiles, aujourd’hui elle progresse dans la ville. Et puis, la question des transports devient problématique : l’argent manque pour créer une liaison directe entre les aéroports et le centre.
- Ca va être réglé : en juin dernier, j’ai assisté à une conférence de presse de présentation d’une liaison directe entre la gare du Nord et Roissy. C’est le projet CDG Express.
- Ah oui ? Au bas mot, il faudra 1 à 1,5 milliard d’euros pour le réaliser et sur près de 10 ans. On les trouve où ? Je vous rappelle que ce projet date de plusieurs années. Au fil du temps, les constructeurs pressentis de la ligne se sont tous rétractés. Le CDG Express sans argent, je n’y crois pas.

         Les hommes d’affaires ou touristes fortunés continueront donc à partager avec les banlieusards fatigués le RER B, aux retards connus dans le monde entier[3][3]. C’est une pratique bien peu courante chez les « cités globales » qui, pour la plupart, ont mis en place des liaisons directes entre aéroports et centres-villes. Il faut en effet éviter aux voyageurs fortunés tout contact avec la population locale : aux alentours des centres urbains stratégiques se délitent les territoires qui « accueillent » pauvres et classes moyennes. Désormais, les frontières qui naguère délimitaient un pays ceinturent les villes. Au centre, la gentrification, autour la pauvreté. « Ces développements constituent de nouvelles géographies de centralité qui périment la vieille opposition pays riches/pays pauvres et, aussi, de nouvelles géographies de marginalité »[4][4].

      En termes moins choisis, il est plus facile à un va-nu-pieds Tunisien de s’installer en France qu’à un petit gars des Ulis de se loger à Paris.


 

 

 

 


 


 

 

 



[1][1] Place and production in the global economy

 

[2][2] Prenez une machine à laver le linge : ses composants viennent de France, Pologne, Slovaquie et Viet-Nam, les circuits électriques sont assemblés en Afrique du sud puis le tout est rapatrié en Espagne d’où seront réexpédiées les machines en Europe.

[3][3] Lire les conseils aux touristes des affaires étrangères des autres pays. Le Foreign office de Grande-Bretagne par exemple : « There have been several victims of serious assault recently on the R E R line B, which serves Paris Charles de Gaulle and Orly airports and Paris Gare du Nord Eurostar terminus ».

[4][4] Cf Note 22

 

 

08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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