09081958

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 08 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Mardi 24 juillet

Jeunesse laborieuse, jeunesse dangereuse

 

             L’eau coule sur mes bras, je me rafraîchis la nuque. Une dernière pause au bassin de la chapelle Sainte-Agathe avant de prendre le GR5 vers Montchavin. « 1 heure de trajet, danger de chute » indique le panneau de bois.
Les premiers mètres sont enchanteurs, le sentier bordé de pissenlits, gentianes et anémones. Plus bas gronde le Pontavin. Je m’enfonce dans les mélèzes. Le sentier se fait escarpé, je traverse un petit pont de rondins non attachés et glissants, je bute devant les rochers. Sur l’un est peinte une flèche bleue axée vers la gauche. Je suis l’indication, grimpe une dizaine de mètres en m’agrippant aux rochers puis m’interromps. J’ai mal compris le signal. Impossible de continuer. Redescendre ? J’ai peur. Je calcule mes pulsations avec le chronomètre du portable. 230 à la minute ! Attendons. La sonnerie retentit. Mon fils aîné, de Paris :

 

Maman, j’ai deux nouvelles, une bonne, une mauvaise.

 

- Accouche, petit, là je suis cramponnée à la montagne, je suis toute seule, je me suis perdue, j’ai peur. Les devinettes, c’est pas le moment.

 

- Ah, mais c’est bon pour le physique ça !

 

- Tu m’expliques ou je raccroche !

 

- Alors, la bonne nouvelle, c’est que je suis retenu pour l’appart, la mauvaise c’est…

 

- T’es viré ?

 

- Mais non, c’est qu’il faut avant lundi vos feuilles de paie.

 

- Quoi ? … ils ont nos feuilles d’impôt, ça leur suffit pas ?

 

- Non.

 

- Bon, on revient vendredi soir. On verra. Dis, tu me rappelles dans vingt minutes pour vérifier que je suis toujours vivante ?

 

- La bise maman !

 

            Dix minutes plus tard, j’enlève les échardes de mes bras, descend l’éboulis sur les fesses et reprend le sentier sur la droite. Il est plus facile, je grimpe facilement et mon esprit vagabonde trente ans en arrière. A dix-huit ans, je descendais du train à la garde d’Austerlitz, avec en poche 300 francs -45 euros-, aucun point de chute, seulement mes espérances, ma volonté et, aussi, une société apaisée et confiante. Après une semaine dans un petit hôtel du boulevard Luxembourg, j’emménageai dans un studio minuscule au fond d’une cour, rue du Faubourg Saint-Jacques. Entre temps, j’avais trouvé un emploi au Printemps Italie qui venait d’ouvrir. La propriétaire ne m’avait pas demandé de feuille de paie, ni l’employeur de certificat de logement. Aujourd’hui, mon fils, 27 ans, fils de bourgeois du XVIème, bonnes études, un emploi en CDI, est tout heureux de débourser 780 euros, pour un studio de 31 mètres carrés au 5ème étage sans ascenseur en haut de la place Clichy.

 

Me revient à l’esprit la colère de Mickaël Mangot. Paru au printemps, son dernier livre « Les générations déshéritées » dénonce l’injustice faite aux jeunes dans nos pays. Comme je lui faisais remarquer que les « vieux » ne font que profiter de l’épargne accumulée au fil des ans et que les conditions de travail étaient plus dures il y a cinquante ans, il s’énerva. « Tu sais à quel âge les Français se déclarent le plus heureux ? A 65 ans ! Et le moins heureux ? De 20 à 45 ans ! Toute la charge fiscale et sociale pèse sur cette tranche d’âge. Depuis quand faut-il attendre 65 ans pour être au top du bonheur ? »

 

Pour Mickaël, « les plus faibles sont les jeunes, marginalisés dans un système qui ne crée pas d’emplois et qui, à leurs dépens, protège les classes d’âge déjà établies. Au contraire, le risque d’explosion du contrat social est bien plus grand si l’on ne fait rien maintenant. Et l’explosion serait fatale aux séniors et à leurs énormes besoins en services de santé. (…) Les jeunes ont le premier rôle à jouer dans cette révolution économique et fiscale. Après tout, pendant les quarante prochaines années et même plus, ce sont eux qui vont être les chevilles ouvrières du pays Leur adhésion au modèle social est indispensable pour sa survie. Si, au contraire, ils sont nombreux à choisir l’exil plutôt que le sort économique qu’on leur propose ici, le modèle français périclitera mécaniquement ».
            Sur le constat –la captation de la richesse nationale par les plus vieux-, je ne peux que le partager. Sur ses préconisations, notamment fiscales, aussi. Rien ne justifie que les cotisations CSG et CRDS pèsent plus sur les revenus du travail que sur les pensions de retraite ou que ces dernières bénéficient d’un abattement de 10 % pour … frais professionnels !

 

            En revanche, son analyse me paraît insuffisante pour expliquer la faillite du système social français. Pour un chargé de cours à l’Essec de Singapour, il me paraît bien trop franco-français…

 

            Et puis, les retraités d’aujourd’hui risquent de payer le prix fort d’ici très peu de temps. Déjà, les Irlandais ont vu leur pension réduite de plus de 30 %. En 2009, « le rendement réel (compte tenu de l'inflation) des fonds de pension a chuté, en moyenne, de 17 % dans 23 pays de l'OCDE. La plus forte baisse, soit 37,5 %, a été observée en Irlande ».[1] Cet ami irlandais lors d’un dîner à la maison : « Vous ne vous rendez pas compte de la crise en France. Chez nous, elle a changé notre façon de vivre. Avant, on se retrouvait entre amis au pub ; maintenant, c’est trop cher et on fait comme vous : on s’invite à la maison ». Cela avait jeté un froid et j’avais vite détourné la conversation. « Vous reprendrez bien un peu de Brie ? »

 

 

 



[1] Edward WHITEHOUSE  et  Anna Cristina D'ADDIO, dans l’article « Aucun système de retraite n’est à l’abri de la crise », dans la revue Constructif de février 2010.  

 

 

18:19 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.