mercredi, 24 septembre 2014
Un drôle d'été français - France, mère des arts, des lettres et des sciences
Jeudi 23 août
L’Union européenne est morte, vive l’Europe ! Oui mais laquelle ?
J’ai échappé au gala des courses, je n’échapperai pas aux cocktails. Dans cette villa au confort anglais, louée pour le mois d’août par notre hôte, se pressent les habitués des champs de courses. Entraîneurs, propriétaires -plutôt des « petits »-, éleveurs, membres des institutions, quelques personnalités locales... Non, pas de jockeys, ou alors un ancien qui a réussi sa conversion. Beaucoup de nationalités aussi, plutôt des Anglais ou des Irlandais, des Belges, des Marocains, deux Italiens, un Suédois, tiens, un Allemand. Il est vrai que l’on voit de plus en plus de chevaux allemands sur le turf français. Ce petit monde boit du champagne, s’apostrophe, s’isole parfois pour taper sur les copains ou élaborer une stratégie, sportive ou de prise de pouvoirs dans telle ou telle institution. Ici et là surgissent des bribes de phrases sur les ventes des yearlings issus de Sea the stars[1].
Un petit échantillon de l’Europe s’agglutine autour du buffet. Mais l’Europe, qu’est-ce que c’est ? Les confins de l’Asie, de la France à l’Oural ? La princesse de Phénicie violée par Zeus, fille d’Agénor, petite-fille de Poséidon et sœur de Cadmos ?
Si je vais sur le site officiel de l’Union européenne, je n’y trouve nulle définition. Sur la première page de « europa.eu », j’y trouve sept grandes entrées : fonctionnement, vivre dans l’UE, législation, l’UE par thème, faire des affaires, publications, actualités… Remarquez, si je vais sur le « site officiel de la France », France.Fr, je n’y trouverai pas non plus de définition mais une sous-rubrique « institutions et valeurs », ornée de quatre grandes photos illustrant le drapeau, la langue, la fête nationale et la monnaie.
Allons voir du côté des constitutions, celle de 1958 pour la France, de 2003 pour l’Europe. Article 1er pour la France : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » Article 1er pour l’Europe : « Inspirée par la volonté des citoyens et des états d'Europe de bâtir leur avenir commun, cette Constitution établit l'Union européenne, à laquelle les états membres confèrent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs. L'Union coordonne les politiques des états membres visant à atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu'ils lui transfèrent. »
D’un côté, des convictions, de l’autre, du flou. Du flou et du mensonge. L’Europe serait donc « inspirée par la volonté des citoyens » ? Non, quelques quatre-vingt millions de citoyens d’Europe ont refusé l’Union telle qu’elle leur a été présentée, du moins ceux qui furent consultés par référendum, soit les Français, les Hollandais et les Irlandais[2]. L’Union européenne est un leurre. Y penser me fatigue.
Le soleil couchant rougeoie la plage de Bénerville abandonnée des estivants. Je m’échappe, traverse la route, enlève mes chaussures et longe la mer, pieds nus dans les vaguelettes.
Tout a été dit sur l’Union européenne. Financiers exceptés, mes interlocuteurs de ces derniers mois en ont dressé l’imposture mieux que je ne saurais le faire moi-même : sa course à l’élargissement (mot plus élégant qu’obésité), son « gangrenage » par la corruption, voire le crime organisé, son échec économique et social. L’OIT recense 195 millions de chômeurs dans le monde, plus de 26 millions d’entre eux sont Européens. Si je fais le rapport sans-emploi sur population totale, j’arrive à 14,9 % pour l’Union, à 2,8 % pour le monde… Bon, c’est vrai, ces ratios ne sont pas admis par la « science économique » mais que dire de celui-ci, donné par l’OIT : « entre 2007 et 2010, 55 % de la hausse du chômage mondial a été enregistrée dans les économies développées et l’Union européenne (UE), alors que cette région ne représente que 15 % de la main-d’œuvre mondiale » ? Elle est incapable d’égaler le Brésil, le Kazakhstan, le Sri Lanka ou l’Uruguay qui, eux, ont ramené leurs taux de chômage en-dessous du niveau d’avant crise.
Il faudra bien que nous nous débarrassions de cette pseudo-Europe que nos élus ont voué au rapt et au viol non par Zeus mais par vingt-sept commissaires aussi grassement payés qu’incompétents et sourds. Ils veulent contrôler les budgets des Etats avant même que ces derniers ne soient soumis au vote des députés souverains mais sont incapables de maîtriser leur propre budget. Année après année, la Cour des comptes européenne pointe les erreurs d’exécution du budget de l’Union. Pour la dix-huitième fois consécutive (!), ses auditeurs refusent de signer le rapport 2011, en raison du « niveau significatif d’erreur » : 3,9% sur un budget de 127 milliards d’euros…
Et leurs thuriféraires plaident pour un fédéralisme, seul moteur pour sortir de l’impasse ! Et de citer l’exemple américain. Ils oublient que le fédéralisme américain n’a été adopté par les treize Etats-Unis de l’époque qu’après un long travail idéologique mené par les demi-dieux[3] - Madison, Hamilton, Jay. La réflexion de « Publius », leur pseudonyme commun pour les articles qu’ils publièrent dans la presse de 1787 à 1788, est passée à la postérité sous le nom de « Federalist papers ». Pour eux, le fédéralisme était le seul système efficace de régulation des passions démocratiques, qui aboutissent trop souvent à des oppositions entre factions.
Qui se souvient, ici ou là-bas que, pour Madison, « la source de factions la plus commune et la plus durable a toujours été l’inégale distribution de la richesse » ? Celui qui fut le quatrième président de l’ex-colonie anglaise n’imaginait pas supprimer les factions entre porteurs d’intérêts antagonistes ; il se contentait d’en éliminer les impacts sur la vie politique. Ses propositions, il les tira de l’analyse de l’échec de la confédération du 15 mars 1777 : « Ce qui n’a pas peu contribué à la faiblesse du gouvernement fédératif existant, c’est qu’il n’a jamais été ratifié par le Peuple ». Il avertissait ensuite : « L’édifice de l’Empire américain doit reposer sur la base solide du consentement du peuple ».
D’où la division de l’autorité politique entre les Etats membres et l’Etat fédéral. Aux premiers, l’exercice du pouvoir exécutif souverain dans toute son étendue, sauf pour les domaines militaire et diplomatique, librement consentis à l’Etat fédéral. Cette fragmentation des pouvoirs constituait pour les fédéralistes le meilleur antidote à la prise de contrôle de la nation par un groupe d’intérêts particuliers. Ils y ajoutaient, aussi, le non-cumul et la limitation de la durée des mandats…
A quelques centaines de mètres devant moi, des cavaliers ramènent au pas leurs montures aux écuries. Nimbés d’une aura orange, ils semblent des centaures. Mais les demi-dieux de l’Union européenne, où les trouver ? Son fonctionnement est un salmigondis de pouvoirs entremêlés et non hiérarchisés, sans aucune justification démocratique ou fonctionnelle. La Commission légifère sur l’hygiène des marchés de rue, validera bientôt les budgets des Etats mais ene possède aucun pouvoir diplomatique ou militaire –heureusement ! Quant au pouvoir monétaire, il est aux mains d’une Banque centrale incontrôlable et, plus grave, incontrôlante. Il est quand même incroyable que personne ne s’interroge sur les manquements de Francfort dans la surveillance des banques européennes !
L’Europe, ce n’est pas l’Union, c’est l’otage de l’Union. L’Europe, c’est un petit bout de continent habité par une multitude de peuples aux caractères bien typés dont le seul point commun fut, au fil des siècles, la suprématie qu’ils accordaient au savoir, à la beauté puis à la liberté.
Mais je me gargarise. C’était mieux hier ? Pas vraiment. Ce petit bout de l’Asie a, aussi, été celui des guerres incessantes, si l’on exclut l’accalmie 1815-1870, fruit d’un Congrès de Vienne orchestré par Metternich. Je n’y inclus pas les années 1945 à 1990. Durant la guerre froide en effet, les pays de l’est restèrent sous domination soviétique tandis que la paix dont jouit la partie occidentale ne fut garantie que par la présence des forces américaines sur son sol.
Et l’Union européenne d’aujourd’hui est née en pleine guerre. Rappelons-nous : le traité de Maastricht est signé en février 1992. Le même mois, la Bosnie proclame son indépendance de la Yougoslavie. Les guerres dans les Balkans dureront jusqu’en 1999, lorsque l’Union européenne aura promu puis reconnu l’indépendance du Kosovo, pays dirigé par le criminel de guerre Hshim Thaçi dont elle n’ignorait rien des trafics. L’émergence de l’Union européenne aura été marquée d’un double sceau : d’une part, celui de la guerre civile et de la corruption la plus atroce, d’autre part celui de la bonne conscience. Ou du moins de la bonne conscience de ses dirigeants.
Car les peuples, eux, se taisent. Ils ont laissé le monopole de la parole aux commissaires d’une Union chaque jour plus soviétique. Sa désagrégation est inéluctable. La seule question valable est : connaîtrons-nous le même sort que les Russes au temps de Gorbatchev et Eltsine ? La perte d’un quart du territoire, d’un tiers de l’industrie, l’inflation galopante et la misère… Les prémices foisonnent. Chacun de nous retient son souffle.
[1] Yearling : cheval pur-sang âgé de dix-huit-mois. Sea the Stars : étalon vainqueur des courses de l’Arc de Triomphe et du Derby d’Epsom en 2009.
[2] Egalement consultés par référendum, les Espagnols et les Luxembourgeois adoptèrent la constitution.
[3] Thomas Jefferson, l’inventeur du paratonnerre alors ambassadeur à Paris, qualifia le groupe des rédacteurs du projet de constitution fédérale d’assemblée de demi-dieux.
08:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
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