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vendredi, 19 septembre 2014

Un drôle d'été français - La guerre sans nom

Jeudi 9 août 2012

Des dirigeants européens atteints de psychose Gorbatchev

 

         Deux journées de liberté ! Je rejoins ma cousine à Hossegor ! Elle est comme moi en vacances dans la maison familiale mais elle a joué plus finement : elle s’est loué un studio sur la plage pour une semaine, loin des gosses et des parents. Ce qui ne l’empêche pas d’inviter sœurs, cousines, copines, chacune a droit à sa nuit.
            J’arrive en fin de journée pour jouir du couchant sur l’océan. Durant plus de deux heures, nous marchons dans le vent –du boulevard de la Dune à Pinsolle et retour-  à nous raconter nos vies, ce que nous faisons à peu près deux fois par semaine dans l’année.

            Ensuite, dîner sur la place des Landais. C’est pour l’ambiance, pas pour la bouffe, à croire que, pour les gérants de brasseries, le client ne peut pas tout avoir, la vue et la gastronomie. On s’en fiche, on est bien. Cinq jeunes Allemands s’installent à côté, je les aide à décortiquer le menu, avec difficulté. Lomo[1], je crois bien que c’est intraduisible. Nous discutons un peu plus. Ils sont Bavarois, d’un patelin près de Nüremberg, et sont venus pour surfer. Pour danser aussi. Très courtois, ils nous demandent des conseils sur les boîtes. Non, nous n’y allons plus ! A la table à côté, des Français, plus jeunes, je fais l’interprète entre les deux petites tribus. Un soir d’été avec juste ce qu’il faut de rires et de fraîcheur marine.
            Nathalie et moi rentrons. On branche la  télé sur « radio pays » qui diffuse en boucle des reportages sur les fêtes de Bayonne. Nous sommes devenues « les vieilles chouettes qui sont à la fenêtre pour voir si on boit » mais tant pis ! Nathalie s’endort, je sors mon carnet et me souviens.

            C’était il y a trois ans. Les Allemands soumettaient à leur cour constitutionnelle le traité de Lisbonne. Ce traité, qui fut signé le 13 décembre 2007 entre les 27 états membres de l’Union, modifiait profondément l’organisation de l’Union, jusqu’ici régulée par l’ancien traité de Rome signé en 1957 et fondateur de la Communauté européenne puis par le traité de Maastricht, de 1992. Son adoption ne fut pas facile, notamment en France et aux Pays-Bas dont les deux peuples, consultés par référendum, en refusèrent le principe. Bien entendu, ces consultations furent balayées par le vote ultérieur des élus, députés et sénateurs…
            Plus subtils, les  Allemands soumirent le traité de Lisbonne à leurs juges constitutionnels. Leur avis fut implacable : en raison du « déficit démocratique » de ce traité, la loi allemande devait rester supérieure à la loi européenne.
            Trois raisons à cela : « La souveraineté primordiale reste aux mains des peuples » puisqu’il n’existe pas de peuple européen souverain. Le juge constitutionnel allemand peut « faire obstacle à l’application en Allemagne de dispositions européennes incompatibles avec la Constitution ». Enfin, l’Union européenne est une organisation internationale comme une autre : « aucun peuple européen unifié, comme source de légitimité, ne pourra exprimer une volonté majoritaire par des voies politiques effectives, tenant compte de l’égalité dans le contexte de la fondation d’une Etat européen fédéral, les peuples de l’Union, constitués dans les Etats membres demeurent les titulaires exclusifs de l’autorité publique ». C’est donc une position très souverainiste, contraire en tout point à celle du Conseil constitutionnel français. Pour ce dernier en effet, l’ordre juridique communautaire est supérieur à l’ordre juridique interne.[2]

            Le silence qui a entouré la décision de la Cour de Karlsruhe fut et reste assourdissant. Aucune plume ne s’insurgea du droit exceptionnel que s’arrogeaient les Allemands par rapport aux autres peuples européens. Il est vrai que ce droit exceptionnel est issu d’une leçon de démocratie si sévère que les autres pays européens ont préféré l’ignorer.

            Ailleurs dans le monde, d’autres pays en ont tiré, presque immédiatement, les enseignements. Le sommet de Copenhague en fut la triste illustration, nous l’avons vu plus haut.
- De fait, l’Union européenne est incapable d’agir de façon concertée sur le développement durable et sur la responsabilité sociale des entreprises, nous expliquait, en décembre 2011, cet ambassadeur français. Prenez l’exemple des biocarburants : le Brésil est le premier producteur mondial de bioéthanol à base de canne à sucre. Il s’inquiétait des volontés européennes en la matière, visant à donner un cadre juridique contraignant aux biocarburants européens qui aurait pu freiner ses exportations. Les Brésiliens auraient pu s’insurger. Ils ont préféré réunir producteurs et ONG de leur pays qui demandèrent à travailler avec la Commission  européenne, soit disant pour apporter leur expertise. Le Brésil a ainsi signé un accord dit de « partenariat stratégique » avec l’Union. Résultat : un tiers des articles sur le texte réglementant la production des biocarburants en Europe ont été rédigés par les Brésiliens ! Et cela dans un domaine stratégique pour l’Europe puisqu’il s’inscrit dans le cadre de l’indépendance énergétique.
            Cette politique de gribouille, on la retrouve à tous les étages de l’Union.

            Un autre interlocuteur, politique cette fois -il est député-maire et fin connaisseur du fonctionnement de l’Union. Nous nous étions retrouvés en mars 2012. L’Union européenne, cela fait plusieurs années qu’il la critique mais jamais publiquement. D’ailleurs, il vote toujours bien gentiment comme le lui demandent les gouvernements, tous de droite ces dix dernières années.
- Tous les dirigeants de l’Union le savent : elle est foutue. Il faut la reconstruire de bas en haut. Mais aucun ne peut l’avouer. Déjà, en ce moment, elle est attaquée de l’extérieur et on ne se saborde pas en pleine tempête. Et puis, les chefs d’état sont tous tétanisés au souvenir de Gorbatchev[3]. Alors, on fait comme si et on attend qui tirera le premier.
- Pour tirer, il faut viser. Vous voyez un dirigeant européen doté d’une vraie vision sur l’avenir de l’Europe ?
- Vous plaisantez ? Pour l’instant, ils parent au plus pressé.
- J’ai plutôt l’impression que c’est la Banque centrale qui fait le job.
- Normal, il n’y a pas de dirigeants politiques de l’Union. On connaît tous la blague de Kissinger[4] : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? » La politique de l’Union, elle est fixée, théoriquement, à la tournante, par le Conseil européen. Ce conseil européen, il est composé des chefs d’Etat membres de l’Union plus du président de la Commission. Ils élisent leur président du Conseil pour deux ans et demi.
- Et ils servent à quoi à part se réunir de temps en temps ?
- Ils donnent les orientations politiques générales de l’Union.
- Ah ! Et c’est quoi aujourd’hui l’orientation politique générale ?
- Pour une fois, je partage votre ironie. En fait, il a désormais deux présidences accolées. Le président du Conseil élu pour deux ans et demi plus un président élu pour six mois.
- Ca ne peut pas marcher !
- Non, tout cela est pour permettre aux chefs des petits états d’apparaître sur la scène internationale. Dans la pratique, la gouvernance de l’Union s’effectue à parité entre l’Allemagne et la France, avec le Royaume-Uni qui joue le rôle d’emm…eur. Et si le couple franco-allemand fonctionne, alors l’Union fonctionne à peu près.
- Je croyais que la Commission était le véritable moteur de l’Union ?
- Oui et non, et c’est bien là le problème. L’Union comme la nature a horreur du vide. Le vide laissé par les dirigeants élus des Etats membres est rempli par la Commission, avec d’autant plus de force que son dirigeant reste longtemps en place : José Manuel Barroso[5] est là depuis près de huit ans.
- On ne l’a pas beaucoup entendu ces dernières semaines.
- C’est vrai, mais vous le savez bien, tant la Commission que le Conseil ont été incapables de trouver des solutions efficaces à la crise de l’euro. C’est la Banque centrale européenne qui a sauvé l’euro en décembre dernier.

            Le rappel, difficile, de cet échange m’a énervée. Je sais déjà qu’il me faudra, plus tard, vérifier les compétences exactes du Conseil, de la Commission... Incapable de dormir, je me lève sans faire de bruit et vais marcher sur la plage. Je ne suis pas seule, des groupes de jeunes fument et boivent dans les creux du sable, des amoureux enlacés s’arrêtent toutes les deux minutes pour s’embrasser. Je ne distingue pas grand-chose, les nuages cachent la lune et le vent rabat mes cheveux sur les yeux. Respirer l’air de la mer, il y a peu qui soit aussi euphorisant. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme ». La suite des vers m’échappe, la saveur iodée de la liberté demeure.
            Cette liberté, elle est consubstantielle à l’homme. Et elle dégage un fumet singulier sur le sol européen où, depuis quatre siècles au moins, les penseurs les plus grands n’ont cessé d’élaborer les meilleures conditions de son exercice.

            « Sauver les démocraties en Europe », c’est un essai du président tchèque Vaclav Klaus qui regroupe plusieurs de ses conférences. Totalement inconnu en France, il est pourtant l’un des hommes les plus écoutés dans le monde. Il me plaît parce qu’il est archétype de l’Europe centrale, celle qui s’est levée contre l’hégémonie soviétique, celle des signataires de la Charte 77, des syndicalistes de Solidarnosc ou celle de Jan Patocka. C’est un européaniste convaincu. C’est aussi un critique farouche du « constructivisme européen » et de l’« ingenierie sociale » en vigueur à la Commission qui veut se substituer aux Etats, des « créations spontanées de l’histoire qui ont suffisamment prouvé leur viabilité ». Vaclav Klaus se méfie de la « bonté mythique universelle » en vigueur à Bruxelles qui nie la réalité des peuples.
            Comme les juges allemands de la cour de Karlsruhe, il a considéré que le traité de Lisbonne était une menace pour la démocratie. Le 15 novembre 2008, devant le Tribunal constitutionnel de Brno, il expliquait pourquoi son pays refuserait de voter le traité : « Si ce Traité entre en vigueur, il changera et la position internationale, et les conditions internes de notre pays. (…) Les organes, démocratiquement établis, de notre pays perdront leur droit de décision dans de nombreux domaines de la vie publique et ce droit sera confié à des organes de l'Union, qui ne sont pas soumis à un contrôle démocratique suffisant. Il sera ainsi permis aux organes de l'Union européenne d'appliquer leurs compétences dans des affaires concernant la vie de notre pays et de ses citoyens, et ce de leur plein gré et sans notre accord. (…) La limitation de souveraineté (dans le traité de Lisbonne, ndr) y est intégrée de manière cachée, implicite, elle est chiffrée dans des articles compliqués et des dispositions confuses. Le Traité de Lisbonne, s'il entre en vigueur, donne le droit – sans que l'opinion publique européenne ne s'en rende compte – aux organes de l'Union européenne de pouvoir décider par leurs résolutions de la souveraineté des états membres. Ceci est inacceptable. L'approfondissement de l'intégration européenne ne peut se faire de manière cachée, derrière le dos des citoyens des pays membres et ne peut non plus leur être imposée contre leur propre volonté. (…) Il conviendrait de se demander où est la source du pouvoir législatif et politique dans l'Union européenne. Le peuple en aucun cas, parce que le "peuple européen", le demos, n'existe pas. Le pouvoir dans l'Union européenne découle des institutions créées sur base de contrats et accords intergouvernementaux. »
            C’est en se fondant sur cette analyse que Vaclav Klaus a refusé que son pays entrât dans la zone euro, pour s’en réjouir plus tard[6] : « La forme et la manière de l’intégration européenne constituent le noeud de la crise. (…) Nous-mêmes, nos enfants et nos petits-enfants subirons les conséquences de notre inaptitude à apporter une solution et à réagir à la situation actuelle. (…) Une solution serait de laisser des pays comme la Grèce quitter la zone euro de façon amicale, en coopération avec l’UE ». Pour cette même raison, il aura refusé ensuite de signer le Mécanisme européen de stabilité[7], tout comme le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (SCG), mieux connu sous le nom de « pacte budgétaire »[8].
            Ce qui est intéressant dans la position de la République tchèque, c’est qu’il ne s’agit pas d’un pays en superbe santé financière qui pourrait se permettre de faire la fine bouche devant les exigences de l’Union. Comme la Hongrie, comme la Grèce, comme l’Islande ou encore l’Irlande, l’Italie, le Portugal ou l’Espagne, la république tchèque de Vaclav Klaus subit la violence de la crise financière de l’Union européenne. Même si elle ne fait pas partie de la zone euro, elle est fragilisée tant par la dépendance de ses exportations à la zone euro que par la structure de l’endettement de ses citoyens : comme les Hongrois, ses ménages ont souscrit des crédits, immobilier ou à la consommation, en francs suisses le plus souvent, presque jamais en florint ou en zlötis. Du coup, pour faire repartir une économie fondée sur l’industrie automobile, le vieil outil de la dévaluation n’était pas opérant. En revanche, la République tchèque n’a, malgré ses difficultés, jamais eu à faire appel à l’aide du FMI ni de l’Union européenne.
            Depuis le déclenchement de la crise, d’abord des subprimes en 2007-2008, puis de la dette souveraine européenne à partir de 2011, six pays européens ont demandé l’aide au FMI et à l’Union : Espagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Portugal, auxquels s’ajoute l’Islande. Cette île du nord du continent ne fait pas partie de l’Union mais de l’espace économique européen. Si l’on observe le sort de ces populations quatre ans après le déclenchement de la demande d’aide, un enseignement en ressort, très net et sans discussion : ceux qui ont accepté l’aide –et ils sont tous dans la zone euro- vont plus mal qu’avant. Les autres –Islande et Hongrie- s’en sont sortis.

            Soulevée en 2008, la question islandaise éclaire autant la nature profondément nocive de l’Union européenne que l’efficacité de l’arme que représente l’exercice démocratique.
            Que s’était-il passé ? Deux grandes banques islandaises, notamment l’Icesave, s’étaient déployées toutes voiles dehors aux Pays-Bas et au Royaume-Uni où elles proposaient des produits d’épargne à taux très attractifs. Dès l’été 2008, elles furent emportées par la crise des « subprimes » qui les contraignit à la cession de leurs activités. Le gouvernement britannique de Gordon Brown voulait, c’est normal, sauver de la banqueroute ses citoyens dont l’argent placé dans la banque islandaise Icesave était gelé.     Sans souci du ridicule, il utilisa la loi anti-terroriste (!) pour geler les actifs des filiales sur son sol. De son côté, le FMI menaça de ne pas verser de prêts pour sauver l’état islandais. Quant à l’Union européenne, elle avertit qu’elle refuserait l’entrée de l’Islande dans l’Union si elle ne remboursait pas les épargnants. Le gouvernement islandais s’inclina. C’était sans compter avec son peuple. Deux fois consulté par référendum, il refusa les accords négociés par ses dirigeants. Finalement, ces dernières trouvèrent la solution : d’abord, ce serait la maison mère d’Icesave et non pas les contribuables qui mettraient la main à la poche. Ensuite, les épargnants seraient remboursés en priorité sur les actionnaires et les créanciers obligataires. Fonds de retraite, assureurs, hedge funds, l’Association européenne de libre-échange, tous bien entendu attaquèrent l’Etat islandais. Sans succès.

             En cette nuit d’août où je marche sur la plage d’Hossegor, je ne le sais pas encore. Mais, dans un mois, la cour suprême islandaise répliquera aux plaignants financiers qui réclamaient leur mise : « Compte tenu du risque pour l'économie, le parlement n'avait pas seulement l'autorisation de le faire, mais était constitutionnellement obligé de protéger l'intérêt général ». Pour une fois, un organe juridique rappelait aux agents économiques la règle fondamentale du capitalisme : être actionnaire ou créancier, c’est prendre des risques et donc, accepter des pertes.

             La question hongroise, elle,  reste purulente en Europe. En 2008, le pays demanda une aide au FMI, à la Banque mondiale et à l’Union européenne. En échange, cette dernière exigea des « réformes structurelles » et la Hongrie s’inclina. Le hic est qu’un nouveau gouvernement fut ensuite élu en 2010 et qu’il n’avait pas la même notion du mot « structurel » : horresco referens, il décida, par exemple, de taxer les entreprises de communication et… les banques puis, pire encore, de réformer la Banque centrale du pays, en la plaçant sous contrôle gouvernemental. Une telle atteinte à la norme européenne ne pouvait qu’être sanctionnée : les représentants du FMI et de la Commission présents à Budapest en décembre 2011, date de la réforme, quittèrent la ville et refusèrent d’octroyer la nouvelle aide demandée par le pays. Croyez-vous que le pays s’effondra ? Que nenni… Certes, la situation économique n’est pas rose bonbon car le pays dépend des exportations vers une zone euro en récession mais elle est meilleure que celle de la France et, surtout, des pays qui ont accepté l’aide européenne.

             Quelles sont alors les conséquences des mesures d’ « aide » octroyées à l’Espagne, à la Grèce, à l’Irlande, à l’Italie ou au Portugal ? Poser la question c’est y répondre : la deuxième bataille qui fut livrée contre la Grèce, essentiellement par l'Allemagne et la France, se conclut par une déroute pour le pays. Idem pour l’Irlande et le Portugal. Quelles seront les prochaines cibles ? Car il y en aura d’autres. Le hic est que cette guerre monétaire est livrée au nom d’une Union morte depuis l’arrêt du 30 juin 2009 de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.

            A ces déchaînements de violences plus ou moins rangées, s’ajoutent les guéguerres entre Etats européens. Nous en avons déjà eu plusieurs ces quatre dernières années mais elles n'étaient pas nommées car non militaires.
             Tandis que la puissance politique et commerciale de l'Europe subit des coups de bélier de la part des pays émergents, ses états se livrent eux-mêmes à une guerre « hors frontières » sans merci. Elle se déroule sous nos yeux mais nous refusons de la voir.

 

 

 



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[2] Article 88.1 de la Constitution, dit amendement Lamassoure : « La République (…) a « consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ».

[3] Nommé secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique en 1985, il mena son pays sur la voie des réformes et mit fin à la guerre froide avec les Etats-Unis. Insuffisamment maîtrisées, ces deux politiques, appelées perestroïka et glasnot, se traduisirent par l’éclatement de l’Union soviétique (elle perd les ¾ de son territoire) et par un effondrement économique prolongé de la Russie (chute de près de la ½ du PIB sur la dernière décennie du millénaire).

[4] Diplomate américain au tournant des années1960-1970, artisan de la politique de la détente avec l’Union soviétique et du rapprochement avec la Chine.

[5] Président de la Commission européenne, désigné en novembre 2004 par le Conseil et renommé ensuite. Le nom du président de la Commission est soumis au vote des parlementaires européens.

[6] Propos tenus à Londres, le 3 mai 2012, lors du Credit Suisse Salon.

[7] Système d’aide sous forme d’institution financière internationale pouvant lever des capitaux sur les marchés financiers pour aider des Etats ou des banques privées en difficulté. Rappelons que la Banque centrale européenne n’a pas le droit d’apporter des fonds à des Etats.

[8] Ce traité est entré en vigueur le 1er janvier 2013, il suffisait que 12 états de l’Union monétaire le ratifient.

 

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jeudi, 18 septembre 2014

Un drôle d'été français - La guerre sans nom

 Mardi 7 août 2012

Le jour où la zone euro n’a pas explosé
 

         C’est mon anniversaire aujourd’hui. Comme pour chaque anniversaire dans la famille, j’ai cuit le gâteau basque hier soir -il est meilleur quand on le laisse reposer 24 heures. Les enfants se lèvent. Ils se précipitent sur les boules de pâte crue que je leur ai laissées. Malheur à moi si les parts ne sont pas égales ! Il y aura une grande tablée à midi. Du travail en perspective. Du plaisir aussi.
            D’abord, je file au marché à Bayonne. Un tour au distributeur du Crédit agricole en bas de la rue Passemillon. M..! La carte est bloquée. Je refais le numéro. Ouf, ça marche ! Tandis que je retourne benoîtement sous les Halles, le frisson d’inquiétude tout juste ressenti me ramène dix mois en arrière.    

            C’était fin novembre. J’assistais à un colloque sur la finance solidaire en Europe. La salle, relativement petite, était emplie de gestionnaires de fonds. Un membre du cabinet du Commissariat européen à la concurrence expliquait comment son bureau préparait un passeport européen pour les fonds solidaires et un « brevet » pour les associations éligibles à ces derniers. Moi, j’étais plongée dans mon portable à prendre des notes, insensible aux mouvements et murmures qui montaient. L’orateur abordait le thème de la gouvernance des associations quand un cri jaillit dans la salle.
- Assez avec la gouvernance des associations et de la finance ! De toute façon, des associations, il n’y en a pas assez pour investir dedans ! Nous, ce qu’on veut, c’est une bonne gouvernance des états !                  
          Saisi, l’orateur s’interrompit. La bronca fut sévère. Les injonctions fusaient de toute part. Ces hommes -même solidaire, la finance est peuplée majoritairement de mâles- se levaient, s’apostrophaient dans une cacophonie inouïe dans de telles instances. Je me tournai vers mon voisin.
- Qu’est-ce qui se passe ?

- Ce qui passe, c’est qu’on va tous crever, voilà ce qu’il se passe. Le crédit est bloqué, les banques paniquent et l’euro va sauter. Et cet imbécile nous parle de la gouvernance des associations !
- Bof, l’euro, on s’en passera, non ?
Mon interlocuteur me regarda avec commisération.
- L’euro, ce n’est pas la question. Si la zone euro se défait, les taux d’intérêt de la dette française explosent. Déjà, avec les taux bas qu’on a aujourd’hui, le remboursement des intérêts, c’est le tiers de l’impôt sur le revenu. Alors, sans l’euro, on se retrouve avec des échéances énormes à rembourser. Et pour les rembourser, rien d’autre à faire que virer au moins 15 % des fonctionnaires et, pour ceux qui restent, 20 % de baisses des salaires. Et sans compter les entreprises obligées de mettre la clé sous la porte, et les salaires et les retraites qui ne pourront plus être versées parce que les banques auront mis la clé sous la porte…
            Je le fixai, interloquée, mais il s’était levé pour rejoindre la rangée où s’agglutinaient des camarades tout aussi remontés et vociférant. Je fermai mon portable et quittai mon siège.
            Comme tout individu apprenant une catastrophe, j’étais dans le déni. Ces financiers, bien propres sur eux, me rappelaient mon fils aîné quand il me reprochait de ne pas avoir été assez sévère avec lui : « si tu m’avais plus serré, j’aurais fait une prépa et je gagnerais plus aujourd’hui ». Des enfants pris dans la main dans le pot de confiture ! Je m’approchai d’un ami lui aussi debout dans sa travée et lui fis part de mes réflexions un peu moqueuses sur l’assemblée. A son tour, il me toisa, exaspéré.

- Tu veux pas comprendre ou quoi ? La zone euro est en train de sombrer et ces imbéciles de la Commission n’ont rien d’autre à faire que concocter des UNICTS ! Tu ne crois pas qu’ils pourraient se consacrer aux vrais problèmes ?
            Je me refusai toujours à comprendre. Remontant vers la sortie, je me retournai. L’organisateur du colloque était monté sur la tribune, remerciait le pauvre fonctionnaire européen ainsi que l’assemblée qui ne l’écoutait pas. Tandis que je restai là à observer, une odeur un peu aigre monta à mes narines. Je reniflai, souris, c’était l’odeur de la salle de hand de mon adolescence ! Puis je hoquetai. Ce que je humais, c’était une sueur un peu âcre, cet arôme qui vient non de l’effort physique mais de la peur. C’était donc vrai, ces hommes en costume-cravate et femmes en tailleur-talons pétaient la trouille.
            Un peu inquiète, j’appelai le lendemain notre correspondant chez l’assureur avec lequel nous devions monter notre premier fond de titrisation. Il me rassura en quelques mots, ironisant sur la crainte des financiers pour leurs bonus. En l’occurrence, mes années de journalisme ne me servirent à rien. Pas une seconde, je n’imaginai un mensonge alors que, pour mon interlocuteur, l’essentiel était de diffuser un message rassurant sur la santé financière de son groupe…

            Quelques jours plus tard, c’était juste après un énième sauvetage de la zone euro, je retrouvais mon ami l’ancien agent de change et lui narrai le colloque. Loin de partager mon ironie, il se montra insupportablement sérieux.
- Oui, la situation est très grave. Depuis que Papandréou a décidé de soumettre par référendum le plan d’aide de l’Union[1], la zone euro a perdu toute crédibilité.
- C’est l’Europe, pas la zone euro qui a perdu sa crédibilité. Comment peut-on infliger de tels sacrifices et de tels abandons de souveraineté à des populations qui n’ont rien à voir avec la gabegie et la corruption de leurs gouvernements ? Une corruption nourrie d’ailleurs de l’extérieur : MAN et Siemens, il y a bien des enquêtes en Allemagne sur les pots-de-vin qu’ils ont versés aux dirigeants grecs non ? Et là, on parle en milliards déversés pour les contrats des Jeux Olympiques, pour le métro, pour des sous-marins qui ne fonctionnent pas, j’en passe et des meilleures ! Plus le maquillage des comptes publics par Goldman Sachs pour entrer dans la zone euro !

- Que vous aillez raison importe peu, ma chère. Si la zone euro éclate, on se retrouvera dans une situation pire que celle d’aujourd’hui. Vous rappelez-vous la sortie de la livre britannique, de la peseta espagnole et de la lire italienne du SME[2], en 1992 ?
- Oui, d’ailleurs la crise était intervenue après un référendum, là aussi. C’était sur l’adhésion de la Suède à l’Europe.
- Non, le Danemark. Quoiqu’il en soit, la dévaluation s’est traduite pour les Anglais par une dévaluation de 30 % par rapport à leur ancien cours pivot et par une inflation terrible. Dans notre monde, l’impact positif des dévaluations est toujours annihilé par l’inflation.
- Si ça a été si terrible pour le Royaume-Uni, alors pourquoi n’a-t-il jamais voulu venir dans l’euro ? Dans les années 90, je suis allée souvent à Londres, je peux dire qu’à chacun de mes déplacements, je voyais la ville –et les Londoniens- devenir de plus en plus riches.
- Tut Tut Tut! L’euro, c’est vous autant que la finance !

- Non, d’ailleurs j’avais voté « nul » pour Maastricht, en me retenant de ne pas voter non.
- C’est bien vous qui m’aviez raconté l’histoire de ce directeur financier d’une grande caisse de retraite qui a acheté un max de dette souveraine grecque en 2008, pour doper les rendements du portefeuille ? Les retraités, ils étaient bien contents d’avoir des taux élevés non ? et les cotisants aussi ? Tout le monde profite de l’euro !

            De tous les financiers que j’aurais rencontrés, de l’été 2011 au printemps 2012, aucun n’aura émis de doute sur la nécessité de l’euro. Contrairement aux préjugés, ils ont la reconnaissance du ventre : le sauvetage de l’euro, c’est d’abord le sauvetage des banques.
            A la fin de ce mois de décembre 2011, la Banque centrale européenne allait concocter un instrument inédit, le LTRO ou « Longer term refinancing operation », « Opération de refinancement à long terme », destiné exclusivement aux banques.
            Les dirigeants politiques auraient voulu que la BCE rachetât des obligations publiques des pays en difficulté –Espagne, Grèce, Italie, Portugal. Inquiet du risque de « credit crunch » ou raréfaction du crédit, Mario Draghi qui venait de remplacer Jean-Claude Trichet, préféra allouer des prêts aux banques de la zone euro. Les chiffres donnent le vertige : en décembre 2011, puis en février 2012, les banques européennes auront obtenu pour 1 000 milliards[3] d’euros de prêts à trois ans, au taux ridicule de 1 %. A ces montants s’ajoutent ceux engagés par les « fonds publics » -autrement dit l’argent du contribuable européen : 1 100 milliards d’euros selon le FMI[4], pour secourir l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal entre décembre 2009 et juin 2012.
            Pour info, 1 000 milliards d’euros, c’est la moitié du PIB français, autrement dit, la moitié de la richesse créée en un an par la cinquième puissance économique mondiale…
            Cet effort a-t-il été récompensé ? Poser la question, c’est y répondre, au moins pour les peuples : aucun jamais n’est descendu dans les rues pour remercier l’Europe de son aide. Ce serait même le contraire.

            En revanche, les banques sont, à court terme, les grandes gagnantes puisque les dettes publiques difficilement remboursables passent petit à petit de leurs portefeuilles aux bilans des institutions publiques –Banque centrale ou Fonds de soutien européen. Quand je parle de court terme, il faut entendre un horizon de deux à trois ans. Car les banques ne sont toujours pas tirées d’affaire.
            Ce n’est pas moi qui le dit : « La fuite des capitaux et la fragmen­tation du marché (interbancaire) qui en ont résulté ont fragilisé les ­fon­dements mêmes de l'Union, à savoir des marchés intégrés et une politique monétaire commune effective »[5]. Et les experts du FMI de marteler : le risque demeure d’« une redénomination de la monnaie ». En termes moins savants, on dirait « retour au franc, à la lire, au mark, etc… ».

            Les Fronts de gauche et national auraient-ils infiltré le FMI ?

 

 

 



[1] Le 31 octobre 2011, le premier ministre grec, Georges Papandréou, a décidé d’organiser un référendum sur l’effacement partiel de la dette du pays, obtenu en échange d’une aide, sous forme de prêts internationaux, de 100 milliards d’euros.

[2] Système monétaire européen, créé en 1979, qui contenait les marges de fluctuation des monnaies européennes autour d’un cours pivot de référence, appelé ECU. Il sera abandonné en 1993, après les attaques spéculatives du fonds détenu par le financier américain George Soros.

[3] 489 milliards d’euros en décembre puis 529 autres milliards trois mois plus tard.

[4] « Rapport sur la stabilité financière dans le monde » présenté à Tokyo en octobre 2012, disponible sur le site du Fonds monétaire international.

[5] Citation tirée du Rapport sur la stabilité financière dans le monde de 2012.

 

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mercredi, 17 septembre 2014

Un drôle d'été français - La guerre sans nom

Lundi 6 août 2012

 De la plage des Corsaires à la mer de Chine en passant par la Méditerranée et la mer baltique

 

            Sur la route qui mène à l’océan, je m’arrête dans une boutique de friperies pour acheter des espadrilles. Tiens, elles sont made in China ! Le comble au Pays basque mais il dure depuis longtemps et s’étend, désormais, aux avions et à la mécanique de pointe.
            Tandis que mon fils prend les vagues sur son surf, je dormasse sur le sable de la plage de l’Océan et laisse vagabonder mes pensées. La Chine, je l’aurai rencontrée à de nombreuses reprises durant le montage inabouti de notre projet.

            Avant d’être dans la banque, il a été au ministère de l’Agriculture.
- C’était au milieu des années 90. Un correspondant de l’OCDE m’appelle. Il me dit : demain, nous recevons des représentants du ministère de l’Agriculture et nous n’avons aucun spécialiste sous la main. Tu pourrais venir ? J’y vais. Et là, je m’en rappellerai toujours, nous écoutons les délégués chinois nous expliquer leurs objectifs : parvenir à la sécurité alimentaire à l’horizon 2005. Pour cela, le gouvernement chinois venait de limiter les importations de riz et d’augmenter les prix payés aux paysans. Les officiels de la Muette[1] souriaient poliment pour masquer leur scepticisme. De mon côté, je me souvenais que ces officiels chinois avaient commencé leur enfance dans les années de grande famine[2] et qu’un tel traumatisme collectif ne pouvait qu’influer fortement les décisionnaires.
- Ils ont réussi ?
- Oui et non. Oui, parce que, avec cinq ans d’avance, ils ont réussi à accroître les rendements et à disposer d’une production de riz suffisante pour leur population. Non, parce que l’élévation du niveau de vie a entraîné une demande plus forte en biens alimentaires élaborés, des yaourts à la viande. Par exemple, près de la moitié du soja disponible sur le marché mondial est acheté par la Chine. De toute façon, même limitée à l’autonomie pour la production de riz, la sécurité alimentaire est un concept fondateur de la politique chinoise. Et la sécurité énergétique aussi.

Cela fit tilt dans ma tête. Trois mois auparavant, j’étais assise devant un sénateur bien au fait de la Politique agricole commune, dans son bureau de  l’immeuble rue de Vaugirard en face du Sénat.
- L’Union européenne est en train de perdre son autonomie agricole. Depuis 1995, les S-A-U régressent.
- Les quoi ?
- S-A-U, pour surface agricole utile. En gros, il s’agit de toutes les terres utiles à l’agriculture, hors forêts. 


            Si l’irénisme à l’égard de la Chine prévaut encore en Europe, il est inconcevable chez ses proches voisins. Samedi 21 juillet, la Chine a « officiellement » installé une garnison à Sansha, bourgade de mille âmes regroupées sur la petite île de l’Arbre de l’archipel Paracel, au large des côtes vietnamiennes.
            Depuis 1974, année de la bataille navale entre les flottes de ces deux pays, la Chine occupe militairement l’archipel qui relève de la souveraineté vietnamienne et y a même installé une base navale. En officialisant sa présence militaire et en reliant administrativement le village de Sansha à la province de Hainan (une grande île au sud de Zhanjiang), Pékin défie les quelques lois qui régissent les relations internationales.
            Cet activisme relève autant de l’impérialisme politique que de l’économique. Militairement, la Chine est très active hors de ses frontières ; depuis 1949, elle a été impliquée dans neufs conflits, ce chiffre excluant la guéguerre avec Taïwan[3].
             Economiquement, le contrôle de la mer méridionale qui regorge de fonds riches en hydrocarbures et en poissons est considéré comme crucial pour l’empire. Au nord-est, il s’oppose aussi, depuis un demi-siècle au Japon sur la question de la souveraineté des îles Diaoyutai –en chinois- ou Senkaku –en japonais- ou encore Pinnacle –en anglais. Au-delà des impératifs de ressources naturelles, la mainmise sur l’archipel Paracel au sud-est et sur les îles Pinnacle au nord-est offre un intérêt stratégique pour la Chine populaire : prendre Taïwan en tenailles et, ainsi, s’assurer la domination totale sur la mer de Chine…
            Prendre en tenailles, c’est la stratégie du croissant si chère aux dirigeants chinois. En 1999, deux officiers de l'Armée chinoise, Qiao Liang et Wang Xiangsui, publient un essai, « La guerre hors limites », qui fera date dans le monde diplomatique pour deux raisons. D’abord parce cet ouvrage, qui n’a pu être publié sans l’aval des autorités tant politiques que militaires, sonne comme l’affirmation de puissance d’un pays encore en marge des grands échanges -il ne sera introduit à l'Organisation mondiale du Commerce que deux ans plus tard. Ensuite parce que son concept sera repris par l’Administration américaine, notamment dans les rapports de la CIA.
            Rédigé peu après la première guerre du Golfe et juste après la crise monétaire de 1998 qui avait mis à bas les « dragons » économiques de l’Asie du Sud-Est et la Russie, l’essai postule deux thèmes majeurs.
            Un, la guerre se mène désormais « en dehors de la guerre » et la victoire se remporte « sur un champ de bataille autre que le champ de bataille classique ».     Deux, les batailles, militaires ou autres, se gagnent toujours par la stratégie du croissant. Utilisée par Hannibal à Cannes, par Nelson à Trafalgar, par Cao Gui à Changshao, cette stratégie vise à affaiblir le « centre » de l’ennemi en l’obligeant à secourir ses flancs.  Une fois qu’il a épuisé ses réserves, l’attaque centrale peut commencer.

            Parmi les guerres non militaires, « la guerre financière est une forme de guerre non militaire qui se révèle tout aussi gravement destructrice qu'une guerre sanglante, même si aucune goutte de sang n'est versée. La guerre financière occupe désormais officiellement la scène qui, depuis des milliers d'années, n'avait été occupée que par des soldats et des armes, du sang et des morts ».
            Douze ans après la mise au pas des pays du Sud-Est asiatique et de la Russie, la zone euro s’est ainsi trouvée dévastée par des attaques massives sur ses banques puis sur ses dettes souveraines. Pourquoi l'Union ? D'abord parce que l'Union est le premier marché mondial et que ses velléités d'indépendance et les restes de sa puissance géopolitique gênent l'expansion des « BRIC ». Ensuite parce que la proie accuse des faiblesses intrinsèques : d'une part, la fragilité de ses banques et l'endettement structurel de ses états membres, d'autre part, l'absence de solidarité entre ces derniers. Les chances de victoire sont d'autant plus élevées que la proie est fragile.
            Depuis septembre 2009, lorsque le Parlement allemand a adopté le traité de Lisbonne en le vidant de sa substance au motif, réel, de son manque de démocratie, l'Union européenne est entrée en une agonie que précipita l'échec du sommet de Copenhague de cette même année. Il visait à renégocier un accord international sur le climat, avec des objectifs chiffrés pour chacun des pays. L'Union européenne l'avait aussi conçu comme une arme de défense contre la puissance émergente des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L'alliance Chine-Etats-Unis déjoua ces plans d'autant plus facilement que les Etats européens allèrent à Copenhague en ordre dispersé : l’Autriche, l’Italie et la Pologne refusèrent de s’associer à la politique communautaire de lutte contre le changement climatique.                 
            Copenhague fut un désastre, aucun état n’ayant accepté d’engagement quantitatif sur ses réductions de gaz à effet de serre. Le signal était donné au reste de la Terre : l’Europe n’existait pas en tant que force politique.

            Aujourd'hui, ce sont les dettes des Etats européens qui sont dans la ligne de mire. Du strict point de vue financier, cela devrait étonner. N'y aurait-il pas mieux ailleurs ? Mais peu importe que le Japon ait un ratio dette/PNB de 200 %, bien supérieur à celui de la Grèce, que les finances du Royaume-Uni soient plus délabrées que celles des Etats du continent ou que la dette des Etats-Unis ne trouve à se placer que grâce au bon vouloir de la Chine.
            Sur une planète dont l'épicentre dérive vers l'Asie, c'est l'Europe, première puissance économique mondiale et surreprésentée dans les instances internationales qu'elle a contribué à créer au milieu des années 1900, qui doit être mise au tapis. Et elle y va rapidement.
            Après les PIGS (Portugal, Irlance, Grèce et Espagne), aux flancs de l’Europe, ce fut au tour de l'Italie et de la France de subir des coups de bélier. Certes, l'état français affiche un ratio dette publique sur PIB proche de 90 % se permet une dépense publique inégalée dans l'OCDE, Suède et Danemark exceptés[4]. Pourquoi alors ces deux pays que leur petite taille devrait, normalement, rendre plus vulnérables, restent-ils à l'écart des offensives financières ? Parce qu'ils sont de peu de poids dans la course à la suprématie économique mondiale que se livrent la Chine et les Etats-Unis.
            La France représente encore un danger en raison de son pouvoir d'influence : son action n'a-t-elle pas été décisive dans le règlement de la crise géorgienne, dans le remplacement d'un G 8 par un G 20 plus respectueux du nouveau déséquilibre mondial ? Sa présence en Afrique n'entrave-t-elle pas les ambitions chinoises en matière de contrôle des terres agricoles et des terres rares ? L'Italie en revanche a perdu le peu de pouvoir d'influence qu'elle avait sur les affaires mondiales avec la présidence de Silvio Berlusconi.

            Mais revenons au déroulé de l’assaut -non militaire mais financier et monétaire- contre l'Union. Conformément à la stratégie recommandée par nos deux colonels chinois, l'attaque commença par les flancs, la Hongrie, puis l’Irlande, le Portugal et la Grèce. Viendraient ensuite l'Italie puis la France. Le choix de l'état maggyar était intelligent. Membre de l'Union mais hors de la zone euro, il  ne reçut aucun appui de l'Union et dut en appeler au FMI pour s'en sortir. Les autres états d'Europe centrale comprirent le message : la solidarité européenne est un leurre. Une fois avéré l'égoïsme des états fondateurs et moteurs de l'Union, les armes financières purent être dégainées.
             Concrètement, d'où viennent les assaillants ? De trois galaxies, dont l'une agit seule. Il s'agit des fonds spéculatifs. Dans leurs tactiques d’intervention, les hedge funds macro se servent de techniques souvent fondées sur les lois de la physique pure mais, fondamentalement, ils s'appuient sur les services d’anthropologues et/ou de politologues qui analysent les forces et faiblesses des cibles avant tout déclenchement des opérations. A ce titre, les divisions dévoilées avant et lors de Copenhague ont constitué un signal fort.
            Si les hedge n'obéissent qu'à eux mêmes, ils sont capables d'alliances opportunistes, ici avec les mercenaires des deux autres galaxies, liées entre elles. Dans la première, se trouvent les banques asiatiques qui, à partir de 2010, ont cessé de prêter en dollars aux banques européennes[5], provoquant une crise de liquidités d'abord rampante puis éclatante à l'été 2011.
            Dans la seconde, on trouve des Etats souverains, essentiellement la Chine, qui interviendront comme « sauveurs », tant auprès du FMI que par rachat d'actifs européens. Pour nourrir « sa riposte à la crise économique mondiale »[6], le Fonds devait accroître ses ressources. Seuls pouvaient lui en apporter les pays en excédent budgétaire : « En avril 2010, le Conseil d’administration du FMI a adopté une proposition d’augmentation et d’assouplissement des Nouveaux accords d’emprunt (NAE), en portant leur montant à près de 367,5 milliards de DTS (environ 560 milliards de dollars) avec 13 nouveaux pays et institutions participants, notamment un certain nombre de pays émergents dont la contribution à cette importante augmentation a été non négligeable. » 
            Inutile d'expliquer tous les termes techniques : il suffit de comprendre que les nouveaux pays riches ont apporté des liquidités ; en échange, leur poids dans la gouvernance du FMI a été augmenté de 9 % : « Ces réformes ont entraîné un relèvement de la quote-part de 54 pays membres, parmi lesquels la Chine, la Corée, l’Inde, le Brésil et le Mexique ont été les principaux bénéficiaires ».
            Et voici comment a été réduite l'influence à la fois de l'Union européenne et de ses états membres dans l'institution internationale la plus puissante au monde après l'ONU. Dans le même temps, la Chine a pu commencer ses emplettes d'actifs européens à bas prix et à ses conditions[7]

            Cet abaissement systématique de l'Union perdurera, d'autant que les Etats sont incapables de solidarité. La France et l'Italie, ventre mou de l'Union, ont résisté pour l'instant mais pour combien de temps encore ?
            Qu'on le comprenne : je n'éprouve aucune vindicte contre les dirigeants chinois et suis au contraire admirative de leur souci pour le bien-être de leur population. Oh, ce n'est pas par grandeur d'âme. A la tête d'un pays vaste comme un continent, peuplé de 1,3 milliard de citoyens, agité quotidiennement par des révoltes sociales, le parti communiste n’a pas le choix : s’il veut conserver à la fois son pouvoir et l'unité du pays, il se doit d'assurer travail et élévation du niveau de vie. Rien de démocratique dans sa démarche. Le nom du prochain président chinois, Xi Jinping, qui remplacera Hu Jintao n'est-il pas déjà connu, trois mois avant l'élection ?
            Ce qui m’exaspère, c’est la passivité de nos dirigeants politiques. Depuis que l’empire du Milieu est exonéré de tout droit de douane sur ses exportations grâce à son adhésion en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce, il livre une concurrence déloyale aux autres pays de la planète. Son objectif ? accroître toujours et encore ses exportations, au détriment de ses propres citoyens d’ailleurs, puisque la masse salariale n’y atteint pas les 50 % du PIB, contre 65 % en moyenne dans l’OCDE.

            Je prenais un petit déjeuner avec le directeur de la zone Asie de l’un des fleurons mondiaux des services aux collectivités. Cet ancien condisciple de Sciences Pô m’expliquait sa stratégie de financement au Viet-Nam d’où il revenait tout juste.
- C’est simple, l’Union européenne, je ne parle pas de la France bien sûr, est incapable de monter des financements intelligents. Moi, pour développer mon business dans l’Asie du Sud-Est, je n’ai pas le choix : je suis obligé de m’associer avec des groupes chinois. C’est ce que m’imposent l’Exim Bank of China, la banque de financement des exportations chinoises, ou la China Development Bank. Entre 2009 et 2010, ces deux établissements publics ont prêté plus de 110 milliards de dollars aux pays en voie de développement, soit plus que la Banque mondiale. Ils travaillent vite, tu as la réponse, positive ou négative, en quelque semaines, là où il faut négocier pendant des mois avec les banques européennes.
- Le bras armé de l’expansion chinoise alors ?
- Oui, d’autant qu’ils n’ont aucun scrupule. C’est comme ça que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. Une entreprise européenne ou américaine qui veut monter un projet d’infrastructures là-bas sera handicapée parce que la Banque mondiale ou le FMI exigeront toujours des conditions sur le respect des droits de l’homme, la démocratie… Avec l’Exim, pas d’ingérence : tu la trouves partout, au Nigeria, au Soudan.
- Je vois. A côté, les 7 milliards d’engagements de l’AFD
[8], c’est de l’argent de poche.
- Je te répète, le problème, c’est pas la France, c’est l’Union. A quoi ça sert d’avoir fait la zone euro si on n’est pas capable de s’unir financièrement ?

 

 

 



[1] Château de la Muette, dans le XVI° arrondissement parisien où siège l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).

[2] De 1958 à 1961, la Chine fut frappée par une famine qui causa la mort d’au moins 30 millions de personnes (chiffres officiels).

[3]Invasion du Turkestan oriental (1949), Invasion du Tibet (1950–51), Guerre de Corée (1950-53), Guerre sino-indienne (1962), Guerre du Viêt Nam (1965-70), Conflit sino-soviétique (1969), invasion des îles Paracels (1974), Guerre sino-vietnamienne (1979), Conflit territorial en mer de Chine méridionale impliquant le sultanat de Bruneï, la Malaisie, les Philippines, Taïwan et le Vietnam.

 

[4] Dépenses publiques sur PIB : 56,6 % en 2013, dette publique sur PIB : 82,3 % en 2010, 86 % en 2011, 90,2 % en 2012 (source INSEE).

[5] Cf. les déclarations des dirigeants des banques asiatiques.

[6] Titre de la fiche technique du 12 septembre 2012 du FMI, disponible en français sur son site.

[7] Cf les déclarations de Gao Xinging, dirigeant du fonds souverain chinois.

[8] Agence française de développement,

 

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mardi, 16 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

5 août 2012

Des barthes, de la Suède et de la LGV

 

Le train lambine dans le sud des Landes. A très grande vitesse de Paris à Tours, il adopte ensuite des allures de plus en plus paresseuses. A partir de Bordeaux, la lassitude et l’impatience de l’arrivée chiffonnent les voyageurs ; enfin, apparaissent les quais de l’Adour en contrebas puis les flèches de la cathédrale.
            Mon père nous attend devant la gare, la Peugeot 106 grise stationnée sur le rond-point, de l’autre côté de l’allée des taxis. Subsistent ici et là quelques empreintes des fêtes : affiches, grilles autour des arbres et pelouses… Il est rare que je les manque mais, quelle que soit la date de ma venue au pays des aïeux, je ressens à chaque fois le même sentiment de plénitude.
            A la sortie de Bayonne, les barthes de la rive sud de l’Adour sont défigurées par la zone de stockage. Un échec économique pour cet aménagement destiné à accueillir les camions venant ou en allant en Espagne. C’était dès le départ un mauvais calcul, les coûts étant bien inférieurs de l’autre côté de la Bidassoa.

            Aujourd’hui, l’Espagne et l’Euskadi s’enfoncent dans la misère et l’avenir de la zone repose sur l’implantation d’un grand magasin de meubles suédois. A 200 mètres à l’intérieur des terres, des échangeurs d’autoroutes et un viaduc vide croisillent une lande où jamais l’homme n’a construit. Mouguerre, Saint-Pierre d’Irube et Bayonne ont gagné sur les autres communes le « droit d’accueillir un magazin Ikéa. Reste à espérer qu’il ne s’enfonce, à la première grande crue, dans les marécages…
            Peu m’importe !  A la jouissance de me retrouver chez moi se mêle la profonde satisfaction de savoir qu’est suspendue la construction de la voie ferrée rapide ou LVF. Les panneaux ELZ (non à la voie du TGV, en euskara) témoignent de la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Je ne suis pas rétive, bien au contraire, à une prolongation de la « très grande vitesse » jusqu’à la frontière et au-delà. Tout automobiliste qui a roulé sur la nationale 10 sera d’accord avec moi, insupporté par les longues cohortes de camions espagnols et portugais.


            Le frêt ferroviaire est bien plus efficace et il faut désenclaver le grand Sud-Ouest. Ce qui me révoltait, c’était le déroulement d’une seconde ligne ferrée entre Bordeaux et Hendaye. Il aurait été possible de transformer la ligne classique actuelle, pour un coût bien moindre. Très actifs, les opposants avaient fait appel à un cabinet d’expertise suisse dont les conclusions, aboutissant à la suffisance de capacité de la ligne actuelle, seront reprises finalement par … RFF, le Réseau ferré de France ! Dans une note interne de ce printemps, ses analystes estiment : « la rénovation du réseau constitue un projet en soi dont la rentabilité économique est supérieure à celle de la plupart des projets ».

            Question : pourquoi s’être entêté durant des années pour ce projet pharaonique, inutile et coûteux, tant pour les habitants que pour les communes ? pourquoi a-t-il fallu que ce soit l’Espagne, endettée jusqu’au cou, qui prenne la décision de suspendre la ligne LGV ?

            Le principe de réalité qui s’est imposé à RFF et aux potentats locaux résulte toujours de nos actions. Malheureusement, ne sont pas celles, raisonnables, du CADE -le regroupement des opposants à la LGV dans le Pays Basque- qui ont prévalu mais celles des banques espagnoles qui ont ruiné leur pays… A cause d’elles, l’Espagne ne peut plus se permettre la LGV.

            La fatalité n’existe pas qui réduirait le Pays Basque et le sud des Landes à une enclave spécialisée dans le tourisme et la santé. Vivent ici des jeunes bien formés qui veulent travailler là où ils sont nés. L’aménagement à partir des infrastructures existantes aurait certes déçu les tenants de la folie des grandeurs mais aurait été bien plus rentable et moins dommageable à l’environnement qu’une nouvelle ligne.
            Aujourd’hui, les collectivités locales qui ont débloqué des fonds et levé des capitaux n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Elles ont compté sur les fonds structurels européens hier abondants, oubliant que la manne financière de Bruxelles ne résultait pas de la production d’une richesse réelle mais bien de la création d’argent « synthétique » né de l’injection de liquidités par la Banque centrale européenne.    Cette débauche de faux argent pervertit tout calcul économique et bannit de la pensée le raisonnement. Depuis 2001, jamais l’argent n’a jamais été aussi abondant.
            Rappelons nous : 11 septembre 2001, attentat contre les tours de New York ; 2002 : éclatement de la bulle internet ; 2008 : crise financière mondiale née de la faillite de Lehman Brothers ; 2011 : crise de la dette des états européens. A chacun de ces soubresauts de l’économie, les réponses des docteurs des Banques centrales auront été identiques : diminuer les taux d’intérêt de l’argent qu’ils redistribuent aux banques.

           
Au temps de Molière, les médicrates glapissaient : « la saignée ! la saignée ! »  Au temps de Bernanke et de Trichet, les bancocrates entonnent : « la monnaie ! la monnaie ! » Mais le malade n'est pas imaginaire et son état empire avec la logorrhée monétaire.
           Question, où partent ces masses d’argent ? Pas seulement sur l’or, l’énergie ou les biens alimentaires comme le prétendait mon agent de change. Ces capitaux, ils sont aussi engloutis dans des mers des Sargasses aux noms de paradis fiscaux : Jersey, Caïman, Lichenstein, Singapour, Londres…
           Nous y reviendrons plus tard. Pour le moment, je fais le tour du quartier pour saluer oncles, tantes et cousins.

 

 

 

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lundi, 15 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Lundi 30 juillet 2012
De l’inflation sélective à l’hyperinflation

 

            Une matinée comme un lundi : dans les paperasses, d’abord à classer le courrier arrivé durant les vacances, ensuite à photocopier les justificatifs de revenus pour la location de mon fils.

             Heureusement, un déjeuner en terrasse avec un vieux copain. Il s’était fait lourdé méchamment il y a une petite demi-douzaine d’années mais s’en est bien sorti. Un de ses amis qui montait un site de vente sur Internet l’avait fait venir en attendant qu’il retrouve un CDI. Il y était resté pour ensuite entrer dans le capital puis racheter les parts de son associé.
- Ca marche toujours ton site ?

- Du tonnerre ! Le chiffre d’affaires continue à progresser moins vite qu’avant mais il continue.
- La crise, tu connais pas ?
- Oui, bien sûr, mais j’avais anticipé. En 2010, quand la fréquentation du site a explosé, je devais embaucher des techniciens. Or il se trouve que Maher est Tunisien d’origine.
- Maher ?
- Mais oui, tu le connais, il est là depuis le début, c’est lui qui a monté toute l’infrastructure d’information.
- Ah oui, je l’ai vu plusieurs fois.
- Bon, eh bien, il m’a proposé de monter la structure de back-office à Tunis. On a créé une filiale, à 50-50, il a recruté des ingénieurs et des techniciens sur place et ça roule ma poule.
- Non mais ça va pas ? Toi qui n’arrêtes pas de dire qu’on crève de ne pas donner la préférence aux Français, tant pour le boulot que pour les produits ?
- Les Tunisiens, tu les préfères chez eux ou chez nous, à traîner sur les places ?
- C’est un coup bas.
- Tu réponds ?
- Non, je n’ai pas envie. Oh et puis si. Tu ne peux pas comparer des Tunisiens qui, chez eux, créent des entreprises et toi qui, de France, implantes une entreprise chez eux quand tu pourrais créer des emplois ici. Et en plus, c’est pas vraiment un bon coup non ? Le printemps arabe, il a pas mal de giboulées il me semble ?
- Non, tu te trompes. Les types, ils ont continué à venir bosser tous les jours. Au téléphone, j’entendais les bruits des émeutes dans la rue mais le travail continuait.
- Et je peux savoir combien tu économises en salaires ? 
- Ce n’est pas la bonne question.
- Oh, facile ! Moi, je t'ai répondu.
- Non. Ce qu’il faut voir, c’est le pouvoir d’achat du salarié. Même payé 5 fois moins qu’un Français, le Tunisien aura un pouvoir d’achat 2 fois supérieur.
- Pardon ? 
- Tu as commencé le repas en te lamentant sur le loyer du studio de ton fils, non ?
- Où veux-tu en venir ?
- Au fait que ce n’est pas seulement le coût du travail qui est exorbitant en France mais celui de l’immobilier. Là-bas, un technicien me revient 1000 euros tout compris, soit un peu plus de 2000 dinars et il touche la quasi-totalité de ces 2000 dinars. Avec 650 dinars, soit 320 euros, il loge toute sa famille
dans 80 mètres carrés dans une résidence haut de gamme à Aïn Zaghouan, dans la grande banlieue chic de Tunis. Ici, le technicien, même âge, même expérience, qui revient à la boîte à 5 220 euros par mois ne touche que 2 800 euros en net.A ton avis, pour Saint-Germain en Laye par exemple, il faut combien pour un appart’ de 80 mètres carrés ?
- Euh…
- 1 500 euros minimum. C’est-à-dire que mon technicien, ici, il ne peut pas loger sa famille avec un seul salaire. Et moi, je vais te dire, je ne bosse pas et je ne fais pas bosser pour enrichir des rentiers !

          Ces propos très vifs, je ne les relèverai pas. Ils font écho à ceux de cet ancien agent de change chez qui, toutes les trois semaines, je venais faire part de l’avancée de notre projet. De l’actualisation des revenus d’un SPV nous en étions venus à parler inflation. C’était en février 2012. Ici et là, étaient publiées des tribunes où des économistes plaidaient pour un retour à un peu d’inflation.
- Vous pensez que la Banque centrale européenne lâchera du lest et laissera filer l’inflation ?
- Elle ne fait que ça et depuis longtemps ma chère amie ! Et elle n’est pas la seule. La Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre, la banque du Japon font pareil. Là-bas, ça s’appelle du « Quantitative easing », ici le programme OMT.
- Pardon ? La mission de la BCE est justement de lutter contre l’inflation et, en général, on lui reproche d’être trop restrictive et de freiner la croissance.
- Lorsque l’on déverse des tombereaux d’argent, l’argent perd toute valeur, toute légitimité et l’inflation arrive.
- Désolée, je sais bien que le taux officiel de l’inflation est pipeauté mais nous ne sommes pas en inflation !
- Vous concevez l’inflation au sens classique du terme : la hausse généralisée des prix, suivie, avec retard, par celle des salaires.
- Oui, ce qu’a connu la France, jusqu’au milieu des années 80.

- Jusqu’à l’arrivée de Pierre Bérégovoy aux finances, de 1984 à 1986 puis de 88 à 91. Quel homme ! Il a tout fait : baisser l’impôt sur les sociétés, libéraliser la finance, lancer le Matif
[1], libérer les investissements étrangers… Ah ! le marché unique des capitaux ![2]

Mon interlocuteur s’interrompt, parti dans ses souvenirs manifestement heureux. Les miens sont plus acides : Pierre Bérégovoy aux Finances, c’est un cabinet dont les membres les plus éminents se retrouveront qui PDG d’un groupe de distribution (Jean-Charles Naouri chez Casino) qui PDG d’une banque (Jean-Pierre Peyrelevade au Crédit lyonnais). Pascal Lamy, aujourd’hui président de l’Organisation mondiale du commerce n’était pas avec Pierre Bérégovoy mais avec son prédécesseur aux finances, Jacques Delors. Ces jeunes cerveaux brillants avaient convaincu leur ministre que l’inflation était la véritable ennemie des travailleurs. Il les avait suivis et cassé du même coup le lien hausse des prix – hausse des salaires.
           Pour une cinquantenaire comme moi, l’inflation a la saveur de l’enfance et de l’enrichissement collectif. Tous les étés, lorsque j’arrivais en France pour les vacances, je m’émerveillais des acquisitions de ma famille et des voisins : une année, c’était la salle de bains, ensuite c’était l’AMI 6 qui remplaçait la mobylette avant d’être elle même changée pour une R16[3]....

- Oui, nous vivons une montée de l’inflation. Elle est inexorable et s’apprête à tout dévaster, reprend mon interlocuteur. Pour l’instant, elle n’appauvrit que les travailleurs mais les détenteurs d’actifs vont y passer eux aussi, ou du moins certains actifs.
- Vous pensez aux coûts des produits alimentaires, de l’énergie, de l’immobilier ?
- Et n’oubliez pas l’envolée des impôts.
- Quel rapport avec l’inflation ? Il ne s’agit pas d’un mécanisme économique mais d’une volonté politique.
- Ne parlons pas de volonté : les gouvernements des pays riches sont confrontés à une explosion de la dette. Ces dix dernières années, la dette mondiale a plus que décuplé. Nous en sommes à 200 000 milliards de dollars. Des chiffres tellement énormes que l’esprit humain, sidéré, ne peut pas anticiper les conséquences de ces monceaux de dette.
- Historiquement, les états ne remboursent pas : soit ils laissent filer l’inflation, soit ils font la guerre. Et pour faire la guerre, il faut des jeunes, et l’Europe vieillit.
- La guerre contemporaine est comme l’inflation : protéiforme, supportée par les populations civiles et niée par les dirigeants.
- On peut revenir à l’inflation ?
- Oui. Elle est niée par la quasi-totalité des observateurs parce qu’elle n’affecte pas les salaires. En fait, si les salaires n’augmentent pas, c’est parce qu’il y a pléthore de travailleurs dans le monde : avec l’amélioration des conditions de vie, nous avons, depuis une vingtaine d’années, une arrivée massive de jeunes gens sur le marché du travail mondial : chaque année, 200 millions d’êtres humains ont vingt ans. Ces nouveaux adultes ont besoin de travailler pour vivre et ils sont tous en concurrence.
- Je me souviens : on appelle ça le « slack global » ! 
- Exactement, le slack, c’est la réserve de capacités de production. Elle peut être en biens, en terres, ou en hommes. Aujourd’hui, et pour une quinzaine d’années encore, le temps que parviennent à l’âge adulte des classes d’âge jeunes moins nombreuses, les salaires ne suivront pas l’inflation.
- Que l’inflation touche les actifs tangibles, les terres, l’immobilier, l’énergie, je le comprends. Mais comment parler d’inflation au sujet des impôts ?
- A part les Etats-Unis dont l’hégémonie politique et militaire leur permet d’imposer au reste du monde d’acheter leur dette, les autres états, à commencer par ceux de l’Union, doivent rembourser. Les impôts ne sont rien d’autres que le prix des services publics : lorsqu’on les augmente, on crée de l’inflation.
- La différence avec les années de ma jeunesse, c’est que les salaires ne suivent pas. On en revient toujours à l’appauvrissement des travailleurs, quel que soit leur statut. Mais qui gagne dans l’affaire ?
- Les riches bien entendu. Ils deviennent de plus en plus riches puisqu’ils ont les capacités d’acheter des biens qui se valorisent rapidement. Il y ensuite les Etats qui disposent de ressources énergétiques et ont le moyen de les contrôler : les ploutocraties du Golfe, mais aussi la Russie, le Brésil. Bien sûr, je ne parle pas ici des pays africains qui se font acheter à bas prix des milliers d’hectares de terres arables ou subissent des conflits cinquantenaires pour le contrôle des diamants ou de l’uranium. Et il ne faut pas oublier tous ceux qui ont les moyens de répercuter les hausses d’impôt ou de prix.
- Pourra-t-on longtemps supporter cette situation ?  -
Non. En Grande-Bretagne par exemple, la politique du quantitative easing est déjà en train de ruiner les retraités.
- Le quantitative easing, c’est bien le rachat massif d’obligations de l’Etat par la Banque centrale associé à des taux d’intérêt très bas ? 
- Oui. La Banque d’Angleterre détient le tiers des emprunts d’Etat en circulation. D’abord, c’est inutile puisque l’économie n’est pas repartie. Ensuite, le montant des pensions diminue et le déficit des fonds de pension se creuse.
- Vous pouvez préciser ?
- Le niveau des retraites dépend des actifs en réserve, c’est-à-dire des emprunts d’Etat. Si ces derniers ne rapportent rien ou presque, moins de 2 %, les retraites qui seront servies seront forcément amoindries… En Grande-Bretagne, ils ont fait le choix de faire supporter la crise essentiellement par les retraités.
- Et pour la France ?
- Pour l’instant, l’inflation touche de façon égalitaire travailleurs et retraités. Tant que le peuple n’a pas conscience de l’inflation, la situation perdurera.
- Vous savez, c’est moi qui fais les courses à la maison. Je sais bien qu’il me faut plus de billets de 50 euros qu’avant…
- Oui mais vous avez encore des réserves. Quand vous n’en aurez plus, quand vous n’aurez plus confiance dans la monnaie, nous serons en hyperinflation. Et je ne lui laisse pas 3 ans avant d’arriver.
- L’hyperinflation ?
- Oui. L’inflation de votre jeunesse, elle reflétait la confiance des consommateurs en l’amélioration de leur niveau de vie, en l’avenir. L’hyperinflation, c’est lorsque le public perd confiance dans sa monnaie.
- D’où les exhortations à sauver l’euro ? 
- Entre autres, oui. L’hyperinflation, elle se traduit toujours par l’envolée des prix des matières premières et par la chute des prix de l’immobilier. Nous avons la première, la seconde suivra.
- Partout en Europe ou dans quelques pays seulement ? 
- L’inflation, c’est comme la grippe : sur un corps sain, elle provoque de la fièvre ; sur un corps vieux ou malade, elle débouche sur la pneumonie voire la mort. Rappelez-vous les années 30 : la France était restée à l’abri, l’Allemagne avait sombré. Aujourd’hui…
- Vous êtes bien sûr de vous ? 
- Pas seulement moi. Regardez ce que font les Banques centrales elles-mêmes : elles rachètent de l’or à tout va. L’an dernier, leurs achats d’or ont été multipliés par 6 !  Aux Etats-Unis, près d’une dizaine d’états demandent à ce que l’or et l’argent retrouvent une valeur d’échange. 
- Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?
- Oui, et le mouvement s’étend. Déjà aux Etats-Unis, près d’une dizaine d’états demandent à ce que l’or et l’argent retrouvent une valeur d’échange. Les grands marchés de dérivés –Comex, CME, ICE- et les banques d’investissement commencent à accepter l’or physique en contrepartie. Surtout, les banques privées elles-mêmes demandent à pouvoir utiliser l’or à 100 %.
- 100 % ?

- Pour le moment, les banques de l’Union européenne ne peuvent comptabiliser la « relique barbare » qu’à hauteur de 50 % de sa valeur. Vous allez voir qu’avec Bâle III elles obtiendront de le valoriser entièrement
[4].
- D’un côté, des actifs monétaires comme l’euro ou le dollar avec les dettes colossales derrière, de l’autre un actif dont la cote ne cesse de grimper. Je vois. Mais le péquin moyen, que fait-il ? 
- Rien pour l’instant. Mais la défiance augmente mois après mois envers l’euro.
- Vous avez entendu parler des monnaies locales ? Elles explosent en Europe, comme aux Etats-Unis dans les années 30 mais elles n’ont rien à voir avec la situation économique. Il y en a des dizaines en Allemagne, souvent fédérées dans le réseau Regiogeld, plusieurs centaines en Espagne. Le Chiemgauer par exemple, qui est utilisé en Bavière, existe sous forme de billets de 1, 2, 5, 10, 20 et 50 Chiemgauer, échangeables en euros.
- Attendez. Qui émet ces billets ?
- Au départ, c’était des lycéens.
- Pardon ?
- Oui, un professeur d’économie a fait plancher ses élèves sur la création de monnaie, leur a appris à imaginer et fabriquer les billets puis à trouver des acteurs économiques prêts à jouer le jeu. L’objectif, c’était de permettre aux habitants du Chiemgau, une région de Bavière au sud des montagnes, écartée des grands circuits économiques, de pouvoir consommer et investir dans les produits locaux. Pratiquement, le circuit du Chiemgauer fonctionne avec quatre grands acteurs : l’émetteur, les associations, les producteurs ou commerçants et les consommateurs. Ces derniers échangent auprès des associations des euros contre des Chiemgauer, à parité : 100 Chiemgauer égalent 100 euros mais les consommateurs doivent accepter de laisser au réseau associatif 2 à 3 euros pour 1 billet de 100 Chiemgauer. Ensuite, ils les dépensent auprès des commerçants membres du réseau qui les utilisent à leur tour pour payer leurs fournisseurs. Les entreprises, elles aussi, paient une sorte de taxe, de 5 %, mais pas à l’achat de Chiemgauer, à la sortie, lorsqu’ils échangent ces derniers contre des euros.
- Une sorte de contrôle des changes ?
- Si vous voulez, oui mais il n’est pas coercitif. Les entreprises ne sont pas obligées d’utiliser le Chiemgauer. Si elles acceptent de le faire, et elles le font, c’est parce que le Chiemgauer leur permet de fidéliser leur clientèle et, surtout, de dynamiser leur tissu local. Contrairement aux monnaies nationales, le Chiemgauer a une date de péremption, sa validité est de deux ans seulement.
- Donc, ce n’est pas une monnaie d’épargne.- Exactement. Qui dit épargne dit au minimum argent dormant, au maximum spéculation. Ici, c’est impossible puisque la monnaie Chiemgauer est fondante : tous les trimestres, elle perd 2 % de sa valeur.
- En d’autres termes, on pousse les gens à consommer ?
- Exactement. L’objectif est de stimuler l’économie locale. Partout en Europe, de grandes villes s’y mettent désormais. Toulouse, je crois, a lancé le sol-violette.
- D’où connaissez-vous ces systèmes ?
- Un maire que nous avions rencontré avait suggéré l’idée d’utiliser cette monnaie pour les fonds de titrisation. Mais nous ne sommes pas allés plus loin : c’est impossible à mettre en place. Les assureurs ne peuvent pas investir en fonds propres autrement qu’en euros.
- Oui, leurs placements sont extrêmement encadrés par la loi. Mais attendez, attendez ! Ce Chiemgauer, c’est bavarois vous m’avez dit ?
- Oui pourquoi ?
- Ca me revient : maintenant, je comprends le pourquoi du Chiemgauer. Au début du siècle dernier, il a existé un économiste bavarois, Gessell
[5]. C’est lui qui a conceptualisé la monnaie fondante. D’après ce que vous dites, il semble que ces expériences de monnaies locales s’inspirent de lui. Bon, de toute façon, tout cela me paraît bien marginal, si ce n’est utopique.
- Normal, il s’agit de monnaies à connotation éthique…
- Pas de gros mots, chère amie, pas de gros mots !

 

 

 



[1] Marché à terme des instruments financiers, disparu depuis.

[2] Avant 1985, les marchés financiers étaient séparés : marché monétaire surveillé par la Banque de France, marché hypothécaire surveillé par le Crédit foncier, marché obligataire et des actions surveillé par une Commission de Bourse.

 

[3] Berline de Renault du milieu des années 60

 

[4] Bâle III, du nom de la ville suisse où se déroulent les négociations, est un protocole de renforcement des fonds propres des banques de l’Union européenne. Ces dernières ont finalement obtenu, à l’automne 2012, que l’or soit considéré à 100 %. Soit un actif à risque nul, au même titre que les emprunts d’Etat notés AAA ou que les liquidités…

 

[5] En fait Jean Silvio Gessell (18621930) était belgo-allemand. Il a vécu en Belgique, Allemagne, Argentine et Suisse. Sa pensée sur la monnaie est parue en 1916, dans son essai « L'ordre économique naturel fondé sur l'affranchissement du sol et de la monnaie », disponible gratuitement sur le Net.

 

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dimanche, 14 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

5 août

 

Des barthes, de la Suède et de la LGV

 

    Le train lambine dans le sud des Landes. A très grande vitesse de Paris à Tours, il adopte ensuite des allures de plus en plus paresseuses. A partir de Bordeaux, la lassitude et l’impatience de l’arrivée chiffonnent les voyageurs ; enfin, apparaissent les quais de l’Adour en contrebas puis les flèches de la cathédrale.

    Mon père nous attend devant la gare, la Peugeot 106 grise stationnée sur le rond-point, de l’autre côté de l’allée des taxis. Subsistent ici et là quelques empreintes des fêtes : affiches, grilles autour des arbres et pelouses… Il est rare que je les manque mais, quelle que soit la date de ma venue au pays des aïeux, je ressens à chaque fois le même sentiment de plénitude.
            A la sortie de Bayonne, les barthes de la rive sud de l’Adour sont défigurées par la zone de stockage. Un échec économique pour cet aménagement destiné à accueillir les camions venant ou en allant en Espagne. C’était dès le départ un mauvais calcul, les coûts étant bien inférieurs de l’autre côté de la Bidassoa.

    Aujourd’hui, l’Espagne et l’Euskadi s’enfoncent dans la misère et l’avenir de la zone repose sur l’implantation d’un grand magasin de meubles suédois. A 200 mètres à l’intérieur des terres, des échangeurs d’autoroutes et un viaduc vide croisillent une lande où jamais l’homme n’a construit. Mouguerre, Saint-Pierre d’Irube et Bayonne ont gagné sur les autres communes le « droit d’accueillir un magazin Ikéa. Reste à espérer qu’il ne s’enfonce, à la première grande crue, dans les marécages…
            Peu m’importe !  A la jouissance de me retrouver chez moi se mêle la profonde satisfaction de savoir qu’est suspendue la construction de la voie ferrée rapide ou LVF. Les panneaux ELZ (non à la voie du TGV, en euskara) témoignent de la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Je ne suis pas rétive, bien au contraire, à une prolongation de la « très grande vitesse » jusqu’à la frontière et au-delà. Tout automobiliste qui a roulé sur la nationale 10 sera d’accord avec moi, insupporté par les longues cohortes de camions espagnols et portugais.

Le frêt ferroviaire est bien plus efficace et il faut désenclaver le grand Sud-Ouest. Ce qui me révoltait, c’était le déroulement d’une seconde ligne ferrée entre Bordeaux et Hendaye. Il aurait été possible de transformer la ligne classique actuelle, pour un coût bien moindre. Très actifs, les opposants avaient fait appel à un cabinet d’expertise suisse dont les conclusions, aboutissant à la suffisance de capacité de la ligne actuelle, seront reprises finalement par … RFF, le Réseau ferré de France ! Dans une note interne de ce printemps, ses analystes estiment : « la rénovation du réseau constitue un projet en soi dont la rentabilité économique est supérieure à celle de la plupart des projets ».
            Question : pourquoi s’être entêté durant des années pour ce projet pharaonique, inutile et coûteux, tant pour les habitants que pour les communes ? pourquoi a-t-il fallu que ce soit l’Espagne, endettée jusqu’au cou, qui prenne la décision de suspendre la ligne LGV ?

    Le principe de réalité qui s’est imposé à RFF et aux potentats locaux résulte toujours de nos actions. Malheureusement, ne sont pas celles, raisonnables, du CADE -le regroupement des opposants à la LGV dans le Pays Basque- qui ont prévalu mais celles des banques espagnoles qui ont ruiné leur pays… A cause d’elles, l’Espagne ne peut plus se permettre la LGV.

    La fatalité n’existe pas qui réduirait le Pays Basque et le sud des Landes à une enclave spécialisée dans le tourisme et la santé. Vivent ici des jeunes bien formés qui veulent travailler là où ils sont nés. L’aménagement à partir des infrastructures existantes aurait certes déçu les tenants de la folie des grandeurs mais aurait été bien plus rentable et moins dommageable à l’environnement qu’une nouvelle ligne.

    Aujourd’hui, les collectivités locales qui ont débloqué des fonds et levé des capitaux n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Elles ont compté sur les fonds structurels européens hier abondants, oubliant que la manne financière de Bruxelles ne résultait pas de la production d’une richesse réelle mais bien de la création d’argent « synthétique » né de l’injection de liquidités par la Banque centrale européenne.

    Cette débauche de faux argent pervertit tout calcul économique et bannit de la pensée le raisonnement. Depuis 2001, jamais l’argent n’a jamais été aussi abondant.
            Rappelons nous : 11 septembre 2001, attentat contre les tours de New York ; 2002 : éclatement de la bulle internet ; 2008 : crise financière mondiale née de la faillite de Lehman Brothers ; 2011 : crise de la dette des états européens. A chacun de ces soubresauts de l’économie, les réponses des docteurs des Banques centrales auront été identiques : diminuer les taux d’intérêt de l’argent qu’ils redistribuent aux banques.

    Au temps de Molière, les médicrates glapissaient : « la saignée ! la saignée ! »  Au temps de Bernanke et de Trichet, les bancocrates entonnent : « la monnaie ! la monnaie ! » Mais le malade n'est pas imaginaire et son état empire avec la logorrhée monétaire.

    Question, où vont ces masses d’argent ? Pas seulement sur l’or, l’énergie ou les biens alimentaires comme le prétendait mon agent de change. Ces capitaux, ils sont aussi engloutis dans des mers des Sargasses aux noms de paradis fiscaux : Jersey, Caïman, Lichenstein, Singapour, Londres…

Nous y reviendrons plus tard. Pour le moment, je fais le tour du quartier pour saluer oncles, tantes et cousins.

 

 

 

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samedi, 13 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Dimanche 29 juillet 2012

 Paris, la ville aux 2 SDF, ou l’exclusion fille de la mondialisation

 


            Après un samedi passé dans les lavages de linge et les reconstitutions de vivres, une journée de liberté ! Ce n’est pas encore Paris au mois d’août, mais ça en a la saveur. Avec une amie, nous dégustons une glace de chez Bertillon, le long des rues de l’île Saint-Louis. Un plaisir bien gagné : nous rentrons d’une longue ballade à vélo, de la gare Montparnasse jusqu’à Verrières-le-Buisson et retour sur l’île.

            Il est neuf heures du soir, nous sommes tranquilles et allons nous asseoir sur le quai en contrebas du pont de Sully. Le sol est encore un peu mouillé mais on s’en moque. Partout, de jeunes gens en vélib. Une vieille femme passe sur la gauche. Elle traîne un caddye débordant de frusques et nippes. Paris, la ville des SDF ! Les sans domicile fixe et les sans difficultés financières y cohabitent dans l’indifférence réciproque.

           Me revient une anecdote vieille de quelques années déjà. A l’époque, je partais tous les mardi soir distribuer la popote aux sans-abris des Halles. Avec mes amis, nous préparions la soupe et les sandwiches dans le local puis faisions la tournée des sans-abris. Peu avant l’été, nous avions contacté une assistante sociale de la ville de Paris pour qu’elle s’occupe de l’un de nos amis.

- Vous plaisantez ? Je n’ai plus rien. Avant, je faisais durer mon budget annuel jusqu’en septembre, maintenant, c’est fini dès le mois de mars. On peut pas tout avoir, le vélib et les aides sociales.

           Nous nous en étions retournés penauds sans trop savoir quel crédit accorder à ses paroles. Il n’empêche. Pour la première fois depuis la Libération, la politique « sociale » de la ville de Paris consiste à aider les plus forts au détriment des plus faibles. Ces dernières années, les aides au transport pour les vieux, les aides aux familles nombreuses ont été peu à peu supprimées ou abaissées. En revanche, combien de millions ont été déversés pour les pistes cyclables et les vélibs ? Des vélibs réservés aux jeunes en bonne santé, tant physique que financière. Et, sous le couvert de l’écologie, combien de projets dispendieux : l’aménagement de la place de Clichy, la reconstruction du forum des Halles qui rejette les sans-abri aux périphéries, le chantier pharaonesque du tramway…

      Paris a toujours été une ville de riches mais, ces dernières années, ce caractère s’est accéléré, tandis que les pauvres et les classes moyennes s’éloignaient. Il ne faut pas y voir une volonté politique machiavélique mais bien la résultante de la révolution technologique et économique des vingt dernières années.

           Sociologue hollandaise, Saskia Sassen[1][1] étudie la transformation des « villes globales » à l’heure de la révolution digitale et de l’expansion de la finance. Sa thèse ? La finance a beau être dématérialisée, elle a besoin, à un certain moment, de toucher le sol. Elle devient visible parce qu’il faut à ses collaborateurs des logements, des restaurants, des magasins, des infrastructures de transport et de connectivité.
           Dans les années 80, ces villes globales se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui, elles sont plus d’une trentaine. New York, Londres, Paris ou Tokyo ont été rejointes par Amsterdam, Buenos Aires, Dubaï, Francfort, Hong Kong, Mexico, New Delhi, Pékin, Sao Paulo, Seoul, Shanghaï, Sydney et Zurich. D’une part, leurs édiles se battent tous pour attirer l’industrie financière, d’autre part, elles sont toutes reliées entre elles. « Les prix de l’immobilier dans le centre de New York sont plus liés à ceux de Londres ou de Francfort qu’à ceux du reste du marché immobilier dans le reste de la ville et dans ses banlieues ».
            A la dispersion des processus de production[2]
[2] s’allie ainsi la concentration des pouvoirs financiers et économiques dans les cités globales. Et la compétition entre elles est telle que ce directeur d’un grand groupe immobilier se lamente de la « mollesse » de la mairie de Paris.

- A Londres, quelles que soient les couleurs des équipes en place, les maires se sont toujours battus pour renforcer la force de la City. Paris a laissé partir ses équipes de recherche financière à Londres.
- C’est surtout à cause des cotisations sociales sur lesquelles un maire ne peut rien. Je croyais que Paris était l’une des villes les plus attractives au monde…
- Oui, pour ses grandes écoles ou universités, pour ses équipements culturels, pour ses congrès internationaux. Mais il faut se méfier de ces classements. Par exemple, ils prennent en compte le nombre de sièges sociaux parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales. Or, en France, les sièges sociaux sont concentrés dans la capitale.
La réalité est que nous risquons une rapide dégradation. D’abord à cause des prix de l’immobilier et du coût de la vie. Ensuite à cause de l’insécurité. Avant, elle était cantonnée dans les banlieues difficiles, aujourd’hui elle progresse dans la ville. Et puis, la question des transports devient problématique : l’argent manque pour créer une liaison directe entre les aéroports et le centre.
- Ca va être réglé : en juin dernier, j’ai assisté à une conférence de presse de présentation d’une liaison directe entre la gare du Nord et Roissy. C’est le projet CDG Express.
- Ah oui ? Au bas mot, il faudra 1 à 1,5 milliard d’euros pour le réaliser et sur près de 10 ans. On les trouve où ? Je vous rappelle que ce projet date de plusieurs années. Au fil du temps, les constructeurs pressentis de la ligne se sont tous rétractés. Le CDG Express sans argent, je n’y crois pas.

         Les hommes d’affaires ou touristes fortunés continueront donc à partager avec les banlieusards fatigués le RER B, aux retards connus dans le monde entier[3][3]. C’est une pratique bien peu courante chez les « cités globales » qui, pour la plupart, ont mis en place des liaisons directes entre aéroports et centres-villes. Il faut en effet éviter aux voyageurs fortunés tout contact avec la population locale : aux alentours des centres urbains stratégiques se délitent les territoires qui « accueillent » pauvres et classes moyennes. Désormais, les frontières qui naguère délimitaient un pays ceinturent les villes. Au centre, la gentrification, autour la pauvreté. « Ces développements constituent de nouvelles géographies de centralité qui périment la vieille opposition pays riches/pays pauvres et, aussi, de nouvelles géographies de marginalité »[4][4].

      En termes moins choisis, il est plus facile à un va-nu-pieds Tunisien de s’installer en France qu’à un petit gars des Ulis de se loger à Paris.


 

 

 

 


 


 

 

 



[1][1] Place and production in the global economy

 

[2][2] Prenez une machine à laver le linge : ses composants viennent de France, Pologne, Slovaquie et Viet-Nam, les circuits électriques sont assemblés en Afrique du sud puis le tout est rapatrié en Espagne d’où seront réexpédiées les machines en Europe.

[3][3] Lire les conseils aux touristes des affaires étrangères des autres pays. Le Foreign office de Grande-Bretagne par exemple : « There have been several victims of serious assault recently on the R E R line B, which serves Paris Charles de Gaulle and Orly airports and Paris Gare du Nord Eurostar terminus ».

[4][4] Cf Note 22

 

 

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vendredi, 12 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Jeudi 26 juillet 2012


Du Michigan à la Provence, les ravages de la crise financière

 

            « L’économiste ne peut résoudre la crise, puisqu’il en est la cause : il l’a produite. Toute économiste est nul par principe, pire meurtrier dangereux… ». Dans la série estivale du Figaro « ces livres qui ont fait scandale », Thierry Clermont chute sa recension du livre de Jean-Edern Hallier, « Lettre ouverte au colin froid[1] », sur un avertissement : « aujourd’hui le moindre paragraphe de cette mazarinade enverrait son auteur devant la 17ème chambre correctionnelle ».

Serait-il interdit de dire la connivence des économistes avec les banques ? de se gausser que tel économiste en chef français d’une grande banque sino-écossaise n’a pu faire paraître son essai sur l’implication de la Chine dans la crise actuelle chez le plus grand éditeur de la place parisienne ? et cela malgré que celui-ci le lui avait commandé et que celui-là avait attendu d’être à la retraite pour rédiger son essai ? Doit-on juste se féliciter qu’il ait trouvé un autre éditeur, plus courageux et moins prestigieux ?

            Doit-on se désoler de voir défiler dans les émissions-débats des économistes dont on sait qu’ils sont attachés à des établissements bancaires divers et variés ? Le conflit d’intérêt serait-il réservé aux politiques ?
            Et pourquoi ne puis-je me défaire de ces questions et me rasséréner ? Il est 7 heures et demi du matin, je me trouve au fond de la vallée, au refuge de Rosuel. Au nord, le mont Pourri, à l’est le col de la Chail, au sud, l’Aliet. L’air est pur, tranquille, les oiseaux trillent et les tracteurs claquètent. Debout devant les poteaux du terrain de foot, le médecin du village enseigne le TaiChi Qang à une poignée d’humains disparates : une petite famille, un Peiserot et moi-même. Il fait froid, les enfants courent pour se réchauffer. Ici aussi, la Chine vient à la France, elle lui apporte sérénité et énergie mêlées d’autant mieux assimilées que le village n’en a pas besoin. Moins de 1 000 âmes, d
euxième au concours départemental des villages fleuris, une multitude de bénévoles, un budget excédentaire.

             La grande dépression n’est pas arrivée jusqu’ici. Oh, les élus ne sont pas obtus. En décembre dernier, ils ont fait examiner la qualité des emprunts communaux : « il en est ressorti que la commune n’avait contracté aucun emprunt dit à risque » se réjouissent-ils dans le bulletin municipal de juillet.

          Les commerciaux de Dexia ne se sont pas engagés au fond de la vallée. Ils préféraient labourer les départements de la Seine-Saint-Denis ou du Nord pour placer leurs « emprunts pourris ». L’héritière du Crédit local de France mariée au Crédit communal de Belgique aurait distribué quelques 25 milliards d’euros de prêts toxiques à  plus de 5 000 collectivités locales qui se retrouveraient à rembourser jusqu’à un quart de plus que le montant emprunté.
            Le mécanisme était simple : des emprunts structurés dont l’évolution du taux d’intérêt était lié à une devise -franc suisse, livre britannique, dollar ou yen. Quelques exemples ? La ville d’Antibes qui, pour 60 millions d’euros empruntés, s’est retrouvée avec une ardoise supplémentaire de 21 millions. Ou encore Saint-Etienne dont le maire a contre-attaqué. En novembre 2011, lors du congrès des maires, Maurice Vincent déclarait à l’AFP : « 
A partir de maintenant, Saint-Etienne va payer les emprunts Dexia au prix du marché, et pas un euro de plus, et non à des taux de 8%, 10%, et plus, puisque l'Etat a reconnu qu'il y avait un problème et qu'il a garanti ces emprunts ». Si le cave stéphanois a pu, avec succès, se rebiffer, c’est parce que le contribuable a payé. 70 milliards des prêts douteux du numéro un des prêts aux collectivités locales ont été garantis par l’Etat, dont ceux de Saint-Etienne, évalués par Maurice Vincent entre 6 et 7 milliards d’euros…

            L’ironie de l’histoire, c’est que Dexia est, avec les Banques populaires et les Caisses d’épargne, l’établissement bancaire en France le plus affecté par la crise financière de 2008. Or, ces trois maisons sont les héritières du mouvement de création bancaire initié par la « société civile » à partir du milieu du XIXème siècle. ; tout comme le Crédit agricole, aujourd’hui englué dans ses frasques grecques, hier porté par Jules Mesline sur les fonds baptismaux à cette époque, en 1884. Les Caisses d’épargne ressortent du catholicisme social, les Banques populaires du côté laïcard. Lassé de l’exclusion du crédit qu’octroyaient les grandes banques de l’époque, André Lasserand crée la première des Banques pop en 1878 à Angers à destination des commerçants et petits industriels. Quant à Dexia, elle jouissait d’un double héritage : catholique avec le Crédit communal de Belgique, idem du côté français, avec un peu de sang franc-maçon. Le Crédit local de France était le bras armé de la 3ème République, née dans le sang de la Commune.

            Alors, les fonctionnaires les 4’arts et les X surmontèrent la défaite de Sedan en dotant villes et départements des outils financiers nécessaires à leur équipement par le biais de du Crédit local qui fut abrité, jusqu’en 1966, au sein de la Caisse des dépôts. A la puissance publique renaissant de ses cendres faisaient écho les innovations des jeunes ingénieurs : machines Compond pour locomotives, soie artificielle, radioconduction… Coopératives ou commerciales, les banques se répartissaient le marché du crédit. Aux banques commerciales - Crédit mobilier des frères Pereire ou Banque de Paris et Pays-Bas de Cernuschi et Delahante, les chemins de fer, la sidérurgie ou l’aménagement de la Plaine Monceau, aux coopératives et mutualistes les crédits aux quincaillers et aux paysans ou les livrets d’épargne aux ouvriers. Les banquiers s’enrichissaient, les Français et la France aussi.
            C’est cet héritage vieux d’un siècle et demi qui s’est dilapidé en moins de vingt ans, autour du deuxième millénaire.

            Aux successeurs de Méline, La Rochefoucauld ou Lasserand, être bourgeois ne suffit plus. Ils voulurent se faire gentilhomme. Le grand Mamamouchi avait ses mules à la turque ? Ils auraient leur banque d’investissement. FSA, quatrième rehausseur de crédit[2] américain pour Dexia, CIFG pour les Caisses d’épargne, Natixis pour les Banques Populaires, combien de milliards d’euros partis en fumée ? et combien de prêts interdits aux entreprises ?

             L’installation à l’arraché d’un médiateur du crédit en octobre 2008 a limité la casse. Tout comme, le même mois, la garantie étatique pour 320 milliards d’euros aux opérations de banque et une aide à la recapitalisation de 40 milliards auxquels s’ajouteront trois mois plus tard 10,5 milliards d’euros rassemblés dans l’urgence.
            
La valse des milliards donne le tournis : entre la mi-septembre 2008 et la fin de 2009, tant les Etats-Unis que l’Union européenne ont « mis 27 % de leur PNB sur la table, pour arrêter le tsunami ».[3]

           Pourquoi de telles sommes ? C’est que les banques ne se faisaient plus confiance, comme les propriétaires n’ont plus confiance en leurs locataires.

             Ici aussi joue le mécanisme de la défiance mais il est différent de celui qui joue entre bailleurs et locataires. Dans ce cas, les premiers ont accumulé trop d’impayés pour se fier à la bonne mine des candidats. Les banques, elles, sont responsables à 100 % de leur propre déconfiture et c’est entre elles que règne la suspicion.
            Le mécanisme est simple. Pour prêter 100 euros à une entreprise ou à un particulier, une banque a besoin d’avoir des fonds propres suffisants. Ces capitaux propres, ils sont formés de la masse des bénéfices accumulés au cours des années et des apports d’argent frais par les actionnaires. Les banques qui sont, théoriquement, très surveillées par les Banques centrales, ne peuvent prêter trop d’argent : la limite se situe autour de 8 % des fonds propres. Donc, pour prêter 100 euros, la banque doit avoir 1250 euros de capitaux propres (100 *100/8). 

            L’argent que constituent ces capitaux propres, la banque va, comme l’épargnant lambda, les placer en contrepartie des prêts qu’elle a consentis, que l’on appelle ses actifs. Et c’est là que commencent les problèmes. Au lieu de se contenter d’un rendement de l’ordre de 2 %, la banque va chercher à en avoir plus. Pour cela, elle va acheter des actions de sociétés un peu spéciales qui lui promettent 4 % d’intérêt par an. Ces sociétés un peu spéciales, ce sont les fameux rehausseurs de crédit dont nous avons parlé plus haut. Ils mélangent des crédits immobiliers consentis par des établissements de crédit immobilier à des Américains pauvres, incapables  de rembourser leurs prêts, sauf à condition de vendre leur maison ou leur appartement plus cher qu’ils ne l’avaient acheté. Ce travail de mélange de crédits, dit de titrisation, ne pouvait fonctionner qu’à la condition que les prix du marché immobilier grimpent sans cesse. Souvent accusée dans les médias, la sophistication de la titrisation n’a rien à faire ici. Ce qui est en cause, c’est une vieille escroquerie à la Ponzi[4]. Dès que le marché immobilier s’est grippé et que les propriétaires n’ont plus été capables de vendre leur bien plus cher qu’ils ne l’avaient acheté, le château de cartes s’est écroulé.
            Que s’est-il alors passé pour les banques ? Elles se sont retrouvées avec des capitaux « toxiques ». D’un côté, des actifs (les prêts aux entreprises et aux particuliers), de l’autre des passifs dont la valeur réelle était inférieure à celle inscrite dans leurs livres de comptes. Presque toutes les banques avaient placé leur argent dans les produits miracles ou subprimes. Chacune d’entre elles savait que ses capitaux propres valaient moins que ce qui était affiché, que sa santé était atteinte ; elle savait aussi que la situation était identique chez la voisine.
            Conséquence : elles ont eu peur l’une de l’autre. Et la machine du crédit s’est bloquée. Chaque jour en effet, les banques se prêtent entre elles. Une banque à qui vous demandez un prêt n’a pas forcément intérêt à l’adosser à ses capitaux propres, il lui souvent plus rentable d’emprunter à un autre établissement l’argent qu’elle vous prêtera à son tour.

            Et les conséquences de cet aveuglement des banques, quatre ans après le déclenchement de la crise des subprimes, nous continuons à les payer jour après jour, et les Européens un peu plus que les Américains.
           Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans la zone euro, l’économie est financée aux trois quarts par les banques et pas par le marché (Bourse, capital-risque…). Aux Etats-Unis, la proportion est exactement inverse. Alors, quand on coupe le robinet du crédit bancaire, la sortie de crise est beaucoup plus lente ici que là-bas…

 



[1] Pamphlet écrit en 1979, adressé au président Valéry Giscard d’Estaing

 

[2] Aux Etats-Unis, un rehausseur de crédit est une société financière qui achète des crédits aux banques qui les ont accordés et les réunit ensuite dans un « portefeuille. Entre 2002 et 2007, ces portefeuilles ont été majoritairement constitués à partir de crédits immobiliers accordés à des emprunteurs impécunieux, incapables de rembourser leurs prêts. Leurs défaillances ont entraîné la « crise des subprimes ». 

[3] Chiffre donné par Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne de 2003 à 2011, lors de la conférence du 17 mai 2012, à l’Institut Peterson, Washington.

 

[4] Dans les années 20, Charles Ponzi monta à Boston une fraude ingénieuse : il promettait à ses clients des rémunérations élevées qui, en fait, venaient de l’argent apporté par les clients suivants. Ce système fonctionne tant que de nouveaux clients entrent dans le système. A l’arrêt des recrutements, il s’écroule. Le système de Ponzi a souvent été utilisé, notamment par Bernard Madoff, dont l’arnaque a duré presque 50 ans, à partir de 1960.

 

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jeudi, 11 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Vendredi 27 juillet 2012
Adieu usines, bonjour supermarchés !

 

              Nous repartons ce matin pour Paris, en faisant un crochet par Annecy que nous voulons faire connaître à notre fils. Les autoroutes ne sont pas trop surchargées jusqu’Albertville. A la sortie, nous prenons la départementale 1508.

           Aux entrées et sorties des villes, des zones commerciales d’enseignes à bas prix. C’est le visage de la mondialisation pour la France : stagnation des salaires et, en contrepartie, produits de base à bas prix en provenance de Chine ou du Bengladesh. Sur France Musique, Michangeli joue les 4 ballades opus 10 de Brahms.

            Un flash me revient : il y a six mois, je rencontrais à Cologne, en Allemagne, les gérants d’une société de gestion spécialisée dans l’ISR (investissement social responsable). Le Thalis avait eu un problème à Mons où nous avions dû le quitter pour emprunter un train « classique ». La ligne, ancienne, longeait des villages et des petites villes. A chaque fois, l’entrée des bourgs était occupée par une petite manufacture, souvent rouge, un peu comme celles de la Saint-Denis il y a encore 30 ans : en briques rouges avec une grande cheminée et un toit en W. Les paysages parlent mieux qu’un long discours. Et pourtant, des discours, j’en ai entendus !

            Il est syndicaliste. Il occupe un rang élevé dans la branche métallurgie de la CFDT. Alors, l’industrie –et la désindustrialisation- il connaît…

- Entre 1989 et 2010, l’industrie et la métallurgie ont perdu 30 % de leurs effectifs.
- Autant ? Mais on n’en a pas tant parlé que ça !
- Parce que les médias ne parlent que des licenciements dans les très grandes entreprises. Dans la réalité, ce sont les intérimaires qui trinquent -1 salarié sur 4 de la métallurgie est un intérimaire- et les jeunes.
- Ils sont moins payés ?
- Pas payés du tout ! Ils ne sont pas là ! Comme les directions favorisent les départs volontaires et ne remplacent pas les départs à la retraite, elles n’embauchent plus suffisamment de jeunes…
            Nous étions en mai, en pleine campagne présidentielle. L’association « Ethique et investissement » organisait un colloque sur « la responsabilité des entreprises dans les restructurations ». Durant les débats, ce syndicaliste donna le nombre de plans sociaux majeurs (7) qu’il attendait pour la rentrée. Un thème totalement absent des débats politiques. Une fois de plus ce jour-là, je sentis comment les dirigeants avaient peur de leur peuple. Du coup, j’eus des doutes sur la validité du plaidoyer pour « une anticipation des restructurations ».
            Les « élites » prennent-ils leurs électeurs pour des imbéciles ? Qui aujourd’hui ne connaît une amie, un oncle, un fils au chômage ? Le passage par les hangars de pôle-emploi est un passage obligé dans la vie d’adulte. Dès juin 2011, le petit comité qui s’occupe de l’organisation des « mardis de l’économie » du Collège des Bernardins à Paris, et dont je fais partie, avait prévu que le thème de l’emploi serait celui de l’année 2012-2013. Je veux bien croire que nous constituons un brillant aréopage, il n’empêche : pour chacun d’entre nous, il était évident que le chômage allait exploser.
            Si les dirigeants mentent autant par omission, ce n’est sans doute pas seulement par peur mais aussi parce que nous, les Français, voulons encore croire à la légèreté. Encore un instant, Monsieur le bourreau !
            Et de fait, en déambulant dans Annecy, qui penserait que la France, comme une grande partie de l’Europe, s’apprête à entrer en récession ? La foule se presse le long des canaux, les terrasses des restaurants sont remplies, les magasins débordent sur les trottoirs et les touristes flânent avec, souvent, un sac de courses à la main.
            Une remarque cependant : comme à Avignon durant le festival, je ne vois aucun visage « bronzé ». Pourtant, les Français qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée existent aussi à Annecy mais ils sont relégués dans le quartier de Novel-Teppes, au nord de la ville, et n’en sortent pas.
            Pourquoi en sortiraient-ils ? Le chômage frappe là plus qu’ailleurs, enfermant ses victimes dans la honte et le repli. Que nous dit l’Observatoire des inégalités ? « Dans une même agglomération, le taux de chômage dans une zone urbaine sensible (Zus) est près de deux fois et demi plus élevé qu’ailleurs : 22,7 % contre 9,4 % en 2011. (…) Depuis 2008, l’écart du taux de chômage entre les Zus et le reste du territoire des agglomérations où elles se situent s’est creusé.. Entre 2008 et 2011, le taux de chômage y est passé de 16,7 % à 22,7 %, alors qu’il augmentait de 7,6 % à 9,4 % dans les autres quartiers des villes comprenant une Zus : + 6 points d’un côté et + 1,8 point de l’autre. »
            Trop souvent, la Venise des Alpes est réduite à une image de carte postale. Qui sait son rôle crucial dans l’essor économique de la France? Annecy concentre les avatars de l’économie française. C’est dans cette ville et le long de la Départementale 1508 que démarra véritablement l’industrie française hydraulique, celle des aciers et de l’aluminium avec Ugine et Pechiney… Mais c’est aussi ici que naquit Carrefour, en 1960, dans la mercerie de Marcel Fournier, rue Vaugelas.

           Un demi-siècle plus tard, l’entreprise est devenue le deuxième distributeur mondial et le premier européen. Carrefour reste le symbole de la grande distribution, elle qui, souligne Philippe Sassier[1], « a mis la main sur le premier moteur de l’économie française : la consommation. Du coup, elle domine aussi la production. Les fournisseurs vivent dans la crainte de perdre des commandes. (…) Il y a aussi les industriels qui plient bagage parce que les hypers cassent les prix et délocalisent leurs achats. Ils n’ont aucun scrupule à pervertir la mondialisation en allant acheter là ou les prix sont les plus bas et où il n’y a pas de lois sociales. »

            Dans cette course aux prix les plus bas, les perdants sont évidemment les emplois industriels en France. Les politiques ont bien cherché à résister en allégeant les charges sur les bas salaires, en défiscalisant les heures supplémentaires… Ce ne sont que des cautères sur des jambes de bois : « les cotisations sociales à charge des employeurs français représentaient 43,8 % des recettes de protection sociale en 2008 contre seulement 34,9 % en Allemagne et 32,5 % au Royaume-Uni »[2].

            Il est numéro deux d’une grande banque d’investissement française. Notre projet de fonds de titrisation pour activités à caractère sociétal le séduit. Il est prêt à nous aider. Puis, comme dans la quasi-totalité de nos entretiens, il se met à disserter sur la situation économique de la France et, plus précisément, de l’emploi.
- L’abaissement des charges sur les bas salaires est non seulement inutile et coûteux en termes de manque de rentrées pour les organismes sociaux, il est terrifiant pour l’image du travail dans notre pays.

- Faciliter l’embauche, vous trouvez cela terrifiant ?
- Parce que l’embauche a été facilitée ? Première nouvelle. Le chômage structurel français est le plus élevé d’Europe ! Le coût du travail a été abaissé ? Il est le plus élevé d’Europe ! L’ouvrier français est payé 35 euros de l’heure en France
[3], plus qu’en Allemagne et bien plus qu’en Italie -26 euros- ou au Portugal -10 euros.
- Attendez, le SMIC horaire, c’est un peu plus de 7 euros non ?
- 7 euros, c’est ce que touche le salarié. Mais il faut ajouter les charges sociales, celles qu’il paie et celles que paie son entreprise… Le salarié et l’entreprise sont les vaches à lait des Français : ils paient pour la Sécurité sociale, pour la famille alors que ces dépenses n’ont rien à voir avec le travail. Sur 100 euros de charges sociales, seulement 45 vont aux indemnisations liées au travail (accidents, chômage et retraite). Le reste va à la famille et aux soins médicaux. Notre système de protection sociale est peut-être le meilleur au monde –ce qui reste à démontrer-, il est aussi le plus inégalitaire : les travailleurs sont les seuls à payer.
- En vous écoutant, je me dis que cela devrait nous donner un certain orgueil… Pour ma part, c’est vrai, je suis assez remontée quand je vois la différence entre le net et le brut.
- Comme tous ceux qui travaillent. Mais, à force de prendre les salariés pour la poule aux œufs d’or, ils crèvent à petit feu. L’indifférence est totale à l’égard des charges qui abaissent leurs salaires : 393 milliards d’euros en 2009, c’est le cinquième du PIB. Et sur ce montant, la majorité, soit 217 milliards, servent à financer les dépenses maladie et famille, des dépenses qui n’ont rien à voir avec le travail.
- Vous me donnez le tournis avec vos chiffres.
- Regardez au-delà des chiffres ! Si le salarié est ainsi volé d’une partie de son revenu, c’est parce qu’aucune considération n’est accordée aux créateurs de richesse. Les entrepreneurs sont, d’emblée, considérés comme des riches égoïstes. Quand au salarié, il est devenu une charge qui abaisse la rentabilité. Et quand il travaille dans l’industrie, c’est encore pire : on le voit comme un pollueur en puissance. Le travail a perdu toute aura.
- Vous êtes sévère. Les chômeurs qui sont prêts à prendre
n’importe quoi, vous ne croyez pas que, pour eux, un CDI, c’est le Pérou ?
- Je vous précise ma pensée : lorsque l’on défiscalise les bas salaires au lieu d’alléger les charges, c’est le travail qui est démonétisé. Et les incidences, elles ne se lisent pas dans le comportement des travailleurs : les Français jouissent d’une excellente réputation dans le monde. D’ailleurs leur productivité horaire est de 55 euros environ, contre 49,1 euros dans la zone euro. Non, les répercussions, elles se lisent dans l’offre industrielle : avec des travailleurs peu payés, on ne produit que du moyen de gamme.
- Vous pensez à l’automobile par exemple ?
- Exactement. Qui sont les clients potentiels aujourd’hui ? Les très riches et les très pauvres. La classe moyenne, elle s’appauvrit, et le peu qui lui reste à la fin du mois, elle l’épargne. Il faut donc aux très riches une offre de très haute qualité. Nous ne savons plus le faire, sauf dans le luxe !
- Et les pauvres ?
- Ils vont devenir de plus en plus nombreux. Pour leur permettre d’acheter, il ne faut pas de la mauvaise qualité, importée d’Asie. Il faut de l’inventivité. Inventivité dans le process de production, inventivité dans la définition du produit… Citroën, ça vous dit quelque chose ? Citroën, c’était à la fois la deudeuche, pour le peuple, et la DS, pour De Gaulle…


 

 

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mardi, 09 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

Mercredi 25 juillet 2012
Le Qatar, les pétro-dollars, la France et Total

 

             Hier je grimpais, ce matin, je descends vers le fond de la vallée. J’y retrouverai mon mari et mon fils à la base de rafting au bord de l’Isère, à Landry. Les muscles souffrent après l’épopée de la veille. A chaque pas, l’articulation de la hanche se rappelle à moi, alors je chante –faux- pour oublier. Le sol est sec, heureusement, et je suis seule, personne pour entendre mes vocalises de casserole. Plutôt que de suivre la route, je m’enfonce dans la vallée de l’Isère. Ici, pas de sentier balisé mais des passages creusés entre les fougères par les animaux. Je m’agenouille au bord du ruisseau et bois dans mes mains croisées. L’eau coule sur mon menton et mon cou, je ris de plaisir. Oh non ! Un bourdonnement contre ma cuisse. Qui est-ce ? Charlotte. Je prends.

 - Allo, Charlotte ?
- Marie, Marie, il est arrivé quelque chose de grave.
- Où es-tu ?

- A Saint-Malo, dans l’escalier, je ne veux pas que Romain entende. La voix est basse, tendue.
- Voilà, Christian a failli mourir.

Mon cœur se glace. Christian, le mari de Charlotte, a été malade il y a quelques années.

 - Je t’écoute, raconte.
- Voilà, Pascal, tu te rappelles, je t’en avais parlé, notre ami jardinier ? Il est fan de voile et il a enfin pu acheter un voilier, en Espagne. Il a demandé à Christian de venir avec lui pour le ramener de Valence à Porquerolles.

 Silence. Charlotte sanglote. Je suis perdue.

- Calme-toi, il est vivant, c’est ça ?
- Oui, oui mais, dans la nuit, il y a trois jours, Pascal dormait, Christian était à la barre, la mer était mauvaise, Christian s’est retourné, il a vu une masse énorme, comme un immeuble de plusieurs étages, qui arrivait sur lui. Il a donné un coup à bâbord, une vague au même moment a poussé le voilier encore plus sur la gauche, le voilier a gîté et le bateau qui arrivait de derrière l’a éperonné, a brisé le mat et la cabine. Marie, si Christian n’avait pas viré, ils coulaient aussi sec.

- Et après ?
- Ils ont lancé des may-day, le navire a poursuivi sa route, il avait les feux éteints. Il ne s’est pas arrêté. Pour papa, (
le père de Charlotte était capitaine dans la marine marchande), le chargé de quart comme l’équipage devaient dormir. C’est les marins sauveteurs de Toulon qui ont reçu les appels.
- Ils ont remorqué le voilier ?
- Non, il était trop endommagé. Ils l’ont laissé couler et ont héliporté les hommes. Christian m’a dit que c’était comme dans un film.
- Ils sont où maintenant ?
- A Toulon. Ils ont passé deux jours chez les gendarmes, à faire leur déposition, séparément. Et les gendarmes ont retracé le navire.
- Déjà ?

- Oui, ils pensent que c’est un chimiquier qatari.
- Un quoi ?

- Un chimiquier, c’est un peu comme un pétrolier. Il va vers la Turquie ou la Syrie mais de toute façon on ne peut pas les interroger tant que il ne s’arrête pas dans un port français.
- Et Christian ? Quand te rejoint-il à Saint-Malo ?
- Dans deux jours.
- Bon, Charlotte, calme-toi, ce qui  compte c’est qu’ils soient tous les deux vivants. Dis-toi que dans deux jours, vous déboucherez le champagne et vous boirez à la vie.
[1]
Nous poursuivons notre échange encore quelques minutes puis nous raccrochons.

Autour de moi, rien n’a changé. Je m’ébroue. La chaleur commence à monter du sol mais je grelotte. Je reprends la descente, indifférente aux papillons et aux libellules.
Ce Qatar quand même ! Il est partout. Un SMS à Christian : « Courage ! Le Qatar a eu le PSG et l’Arc de Triomphe, il n’aura pas Christian ni Pascal ! ».

Les Qataris, ce sont quelques 350 000 citoyens, dirigés par la famille Al Thani, agglutinés avec près d’un million de travailleurs immigrés sur une petite péninsule, à peine plus grande que l’Ile-de-France, au nord-Est de l’Arabie saoudite. Mais le Qatar, c’est surtout le symbole même des nouveaux Etats forts issus de la mondialisation. On le trouve dans les banlieues parisiennes comme sur la place de l’Etoile, au PSG comme aux courses hippiques du début de l’automne à Longchamp.

            Sa force ? Le pétrole et le gaz dont les revenus sont regroupés dans le QIA ou Qatar Investment Authority, un fonds souverain doté de 115 milliards de dollars. Les fonds souverains sont des portefeuilles d’actions ou obligations, un peu comme les SICAV de l’épargnant français moyen, mais contrôlés par un état. En France, le fonds souverain s’appelle le FSI ou Fonds stratégique d’investissement. Créé au plus fort de la crise financière, en novembre 2008 avec une dotation de 20 milliards d’euros, son objectif est contraire de celui de la QIA. L’un vise à protéger les entreprises dites stratégiques pour la France, l’autre à diversifier les richesses du Qatar en investissant aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. D’un côté, une stratégie défensive sans véritables moyens, de l’autre une stratégie offensive.
            Le QIA intervient partout mais il est notable qu’il s’intéresse particulièrement aux entreprises françaises : le groupe militaire Lagardère, le groupe de luxe LVMH ou le pétrolier Total. Pourquoi ? Je sais bien que les grands groupes français se situent plus qu’honorablement dans les classements mondiaux mais la réponse est d’ordre politique plus qu’économique. Et, dans ce pays comme dans tous les autres de la péninsule arabique, politique signifie maintien de l’ordre et népotisme.
            Me revient la discussion menée avec un ancien commissaire de police qui a monté sa propre société de sécurité privée.

- Si tu veux comprendre pourquoi le Qatar est si présent en France, tu dois toujours te rappeler de trois choses. La première, c’est l’appui français au régime, depuis près de vingt ans. La deuxième, c’est que le pays lorgne sur l’Arabie saoudite. La troisième, c’est que le Qatar, comme n’importe quel état, n’obéit qu’à son propre intérêt. »
- Le Qatar est une ancienne colonie britannique, indépendante depuis 1961, non ? Qu’est-ce que la France va faire là-bas ?
- Justement, comme tous les dirigeants de pays décolonisés, la famille régnante se méfie de son ancienne puissance occupante et essaie de limiter au maximum les relations avec elle. Mais il se trouve que, en 1995, l’émir Khalifa al Thani a été renversé par son fils Hamad. Prince héritier depuis 1977, ce dernier en avait assez d’attendre. Son soulèvement, il l’a mené avec sa garde de bédouins qui étaient conseillés par l’ex-gendarme français le capitaine Barril. Cela crée des liens tu ne crois pas ? D’autant que le père déchu a passé la majeure partie de son exil en France, avant de revenir dans son pays en 2004, une fois réconcilié avec son fils…. Aujourd’hui, l’armée qatari utilise presque exclusivement des équipements
français… Et Total, présent au Qatar depuis 1955[2], a noué des liens très serrés avec le pays.
- Oui, ça je sais. Le président de Total, Christophe de Margerie, est présent aux courses de chevaux de l’Arc de Triomphe sponsorisées par le Qatar. L’année dernière, des supporters du PSG se sont pointés devant la tribune officielle de Longchamp où se trouvaient des membres de la famille régnante, ainsi que le président de Total. Ils criaient : « Nous ne sommes pas des Qataris ! »
- Peut-être, mais ils sont bien contents de rouler avec son pétrole et de se chauffer avec son gaz.
- Le Qatar a beau se targuer de détenir les troisièmes réserves mondiales de gaz naturel, ses exportations de pétrole et de gaz en France ne sont pas énormes comparées à celles qui viennent de la Norvège ou du Nigeria ou des Emirats-Arabes-Unis, non ? (Après cet échange, j’irai sur le site officiel de Total : le pétrole en provenance du Qatar représente 0,36 % de sa production et le gaz naturel 10,1 %). Alors pourquoi ces liens avec le Qatar, qui est d’ailleurs devenu son premier actionnaire privé ?
- C’est là qu’entrent en compte les relations avec l’Arabie saoudite.
- Qu’est-ce que tu racontes avec l’Arabie saoudite ? Tu vois tout au prisme de tes escarmouches dans le golfe persique !

Mon interlocuteur monte des partenariats publics privés pour financer des interventions militaires de sécurisation dans la mer d’Oman et le détroit d’Ormuz. Par ce détroit, qui relie le Koweït, l’Iran et l’Irak au Nord, l’Océan indien au sud, transite le tiers du commerce mondial de pétrole. C’est pour son expertise sur les partenariats publics-privés que j’ai demandé un entretien à l’ancien commissaire. Le ministère de la Défense, comme n’importe quel autre ministère français, n’a plus l’argent, ni les hommes, pour assurer la protection des navires français qui passent par le détroit. Il en confie donc la tâche –comme les compagnies pétrolières- à des sociétés militaires privées, la plupart immatriculées dans un paradis fiscal…

- Ecoute. Le comportement des états, comme celui des entreprises, obéit aux mêmes règles que les humains. Si tu veux bien connaître tes amis, tu dois connaître leur famille.  Si tu veux comprendre les agissements d’un état, du dois savoir son histoire.
- L’histoire, elle est courte pour le Qatar.
- Oui, et elle s’imbrique dans celle de l’Arabie saoudite. Lors de sa conquête de l’Arabie, le roi Ibn Saoud voulait annexer la quasi-totalité de la presqu’île du Qatar. Et ce, jusqu’en 1939. La famille Al Thani ne l’a jamais oublié. D’autant que, en 1992, au poste de frontière de Khafous entre l’Arabie et le Qatar, il y a eu bataille rangée avec plusieurs morts. Aujourd’hui, le Qatar profite de l’affaiblissement de la monarchie saoudienne pour avancer ses pions partout dans le monde musulman. Ce qui est jeu, c’est le contrôle de la Mecque.
- Tu plaisantes ?
- Non. La famille Al Thani est d’origine arabe. Cette tribu qui s’est installée au Qatar à la fin du XVIII° vient du plateau du Nejd.
- Bon. Si tu le dis… Après tout, il a fallu plus de 300 ans aux Capétiens pour que l’étendue du royaume de France excède celle des territoires de leurs vassaux.  Et Total, qu’est-ce qu’il vient faire dans tout ça ?
- Total, tu connais son histoire ?
- Assez bien, oui. Elle a fusionné avec Elf au début des années 1990. A l’époque, j’étais journaliste et j’ai couvert la fusion. C’est la sixième ou cinquième major pétrolière du monde.
- C’est vrai, il y a deux groupes dans Total. D’abord, l’ex-ELF Aquitaine, surtout présent en Afrique pour le pétrole, ensuite, l’ex-Compagnie française des pétroles, créée en 1924 et historiquement présente au Moyen-Orient, surtout pour le gaz, et en Libye. C’est le Total historique qui nous intéresse aujourd’hui. Même si Total est privatisée, sa mission reste celle définie par l’Etat en 1924 : donner à la France son indépendance énergétique.
- On a déjà le nucléaire.
- Oui, mais il ne fait pas rouler les voitures et ne suffit pas à chauffer les maisons. Aujourd’hui, les besoins en gaz naturel augmentent plus vite que ceux en pétrole. Or, où trouve-t-on du gaz ? pour plus de la moitié, en Russie, en Iran et au Qatar.
- Je pige : l’Iran est exclu, la Russie fait peur et de toute façon elle consomme de plus en plus de gaz pour sa propre industrie. Reste le Qatar…
- Exactement. L’Allemagne dépend de la Russie pour son approvisionnement, la France, elle, a besoin du Qatar.
- Je rabâche peut-être, mais comment est-ce qu’on peut entretenir des relations privilégiées avec un état pareil ? On le soupçonne quand même de financer les rébellions « islamistes », surtout en Libye et vers le Sahel.
- Dans la vie des Etats, il faut savoir dîner avec le diable, très chère.
- A condition d’avoir une très longue cuiller.
- C’est toute la question. La cuiller, pour la France, c’est son armée. Le pays est ruiné mais il peut encore faire mal. Quand nous sommes allés en Lybie, pour une raison honorable bien sûr -on fait toujours la guerre pour de bonnes raisons-, nous avons fait d’une pierre six coups.
- Six ?
- Un, on raffermit notre posture d’allié des peuples martyrisés…
- D’autant qu’elle avait été un peu mise à mal par Alliot-Marie qui voulait envoyer des conseillers techniques au gouvernement tunisien de Ben Ali…
- Deux, on envoie un signal aux marchés financiers.
- Comment ça ?
- On est peut-être très endetté mais on a encore suffisamment de cash pour envoyer des troupes au-delà de la Méditerranée. Alors nos créanciers n’ont pas intérêt à nous prendre pour des Grecs ou des Irlandais.

- La politique de la canonnière
[3] à l’envers ?
- Si tu veux. Je continue. Troisième point : on sécurise une partie de notre approvisionnement en pétrole
[4]. Dès septembre 2011, Total était le premier pétrolier à faire repartir sa production libyenne[5]. Quatrième point : on renforce nos liens avec le Qatar.

            Mon interlocuteur se lève et cherche un livre sur ses étagères.

- Tiens, voilà : « Nous respecterons tous les engagements et les contrats signés précédemment, sans nous préoccuper de qui les a signés, a déclaré Ali Tarhouni[6] en mars. Nous nous souviendrons aussi de nos amis qui nous ont soutenus au moment où nous en avions le plus besoin. En premier lieu, ce sont la France et le Qatar. » Tu as compris ?
- Pas vraiment. Le Qatar n’a pas besoin de pétrole.
- Bien sur que si ! La chute de Khadafi a été pour lui l’occasion idéale de prendre le contrôle –partiel encore pour le moment- sur le pétrole libyen. Tiens,
(il se lève et prend un fascicule), tu liras ça mais tu me le rends, hein ! : « The end of Gadaffi », c’est écrit par Abdurrahman Shalgham, l’ambassadeur libyen à l’ONU. Il y décrit comment le Qatar, qui a financé, pour 3 milliards de dollars, et ce avec l’accord de la France et des Etats-Unis, les opposants les plus radicaux à Khadafi, a pris le contrôle à la fois militaire et économique du pays. Après avoir saisi les armes biologiques concoctées par l’ancien régime, il implanté sa propre base militaire dans le sud. Abdurrahman Shalgham rapporte aussi ses échanges avec le dirigeant d’une major pétrolière américaine qui prétend être prêt à investir massivement en Libye mais s’y refuser parce que le Qatar veut obtenir une part trop élevée de la production attendue.
- Un partenariat public-privé un peu trop déséquilibré ?
- Si tu veux mais là, le public n’est pas du pays…
- Là, on en est à quatre points.
- Oui, le cinquième, c’est de rester en Libye. Ca ne sera pas facile.
- Pourquoi est-ce si important ?
- Parce que la Libye contrôle l’accès aux pays du sud, le Mali d’abord, le Niger ensuite. Et qui dit Niger dit uranium. Areva, le groupe nucléaire français, contrôle les mines d’Arlit et s’apprête à y exploiter un site, Imouraren, deuxième mine à ciel ouvert du monde.
- Excuse-moi mais le résultat de la chute de Khadafi, ça me semble plutôt le chaos total, avec des mercenaires maliens, surtout Touareg, qui repartent dans leur pays sans travail mais bourrés d’armes.
- Il faut voir plus loin. C’est certain, le terrorisme au nom de la charia
[7] progresse de l’autre côté de la Méditerranée. Il y est pour longtemps. Alors, il vaut mieux rester là-bas et maintenir les liens avec les dirigeants locaux plutôt qu’être considéré comme un ennemi.
- Tu ne crois pas qu’ils nous considèrent déjà comme leur ennemi ?
- Ce n’est pas une raison pour ne pas parler avec eux.
- Je recompte, euh, il manque ton dernier argument, le sixième élément.
- Oui, en fait il recoupe le troisième point mais là, il ne s’agit pas de pétrole mais de gaz. Et on revient vers la Syrie.
- Je ne te suis plus.
- On a aidé à le Qatar à s’implanter dans le nord de l’Afrique et à « sécuriser » son influence dans les pays au sud du Sahara. Ainsi, il dame le pion à l’Arabie saoudite qui était seule auparavant à financer les centres d’enseignement religieux sunnites. Ce soutien n’a qu’un but : sécuriser notre approvisionnement en gaz. Maintenant, le Qatar veut des débouchés vers le nord. Tu dois savoir que le Qatar a un objectif vieux d’une dizaine d’années : construire un pipeline traversant tout le Proche-Orient jusqu’à la Turquie pour porter le gaz naturel en Europe, ce qui permettrait d’écarter la Russie. Cet objectif a un nom, le projet Nabucco.
- Et ce pipeline passera par où exactement ?
- Il y a deux voies possibles. L’une passe par le Koweït et l’Irak mais elle est peu probable, ces deux pays sont majoritairement chiites. L’autre voie passe par la Jordanie et la Syrie.  Pour convaincre le royaume hachamite, plutôt rétif, le Qatar promet de lui fournir le gaz gratuitement. Je ne sais pas combien de temps le roi Abdullah pourra tenir car les tribus bédouines, son traditionnel soutien, commencent à le lâcher. Quant à la Syrie, tu es au courant de la situation ?
- Oui. Excuse-moi mais le régime de Bachar al-Assad, personne n’en a vraiment envie. Son père avait massacré les citadins de Hama en 1982, lui, il étend le massacre à tout le pays.
- Certes, mais tu vois bien que la soi-disant communauté internationale est bien embêtée. Veux-t-on vraiment un nouveau régime sunnite extrémiste dans la région ?
- D’où les atermoiements des gouvernements français successifs. Si je me rappelle bien, le clan au pouvoir en Syrie est alaouite, une religion soutenue par la France durant son mandat après la première guerre mondiale. Et les alouites sont rattachés aux chiites d’Iran ou d’Irak…
- Oui, et nous sommes partagés : accompagner les résistants à l’oppression du gouvernement syrien, c’est renforcer encore le pouvoir international du Qatar et installer des adeptes de la charia sunnite la plus dure ; ne rien faire, c’est accepter qu’un tyran sanguinaire opprime son peuple et renforcer le ressentiment des musulmans modérés à l’égard de l’Occident. Le hic, c’est que Bachar al-Assad a aidé la France à plusieurs reprises à réfréner les ardeurs terroristes sur notre sol…
- Ah ! Je pensais au contraire que nous nous méfiions de la Syrie en raison de son attitude à l’égard du Liban…
- Les deux ne sont pas incompatibles. De toute façon, compte tenu du soutien sans faille de la Russie à Bachar al-Assad, je te parie un kopeck qu’il restera au pouvoir encore longtemps, même si c’est au prix de la mort d’autres dizaines de milliers de Syriens.

[1] En octobre, le capitaine du chimiquier qui s’arrêtait dans un port normand allait devoir signer une lettre de garantie.

 

[2] Et même depuis 1935, si l’on prend en compte que l’IPC (Iraq Petroleum Company), détenue à hauteur du quart du capital par la Compagnie française des pétroles, ancêtre de Total, est entrée au Qatar à cette époque.

 

[3] La diplomatie de la canonnière était pratiquée par les puissances du XIX° siècle qui envoyaient leurs navires tirer depuis la mer des boulets de canon sur les ports des Etats qui ne payaient pas leurs dettes, tel le Venezuela qui, en 1906, subit un blocus naval de la part de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie.

[4] En 2010, « la Libye couvrait alors 16 % de nos besoins en pétrole », selon le rapport n° 636 du Sénat, déposé le 4 juillet 2012.

[5] Pour la Libye, « le stock d'IDE français en 2009 a été évalué à 1,33 milliard d'euros, dont 1,1 milliard d'euros pour Total », rapport n° 636 du Sénat.

[6] Homme politique libyen, responsable du pétrole et des finances du gouvernement transitoire de la Libye de mars à novembre 2011. Propos cités par Jean-Christophe Notin dans « La vérité sur notre guerre en Libye, éditions Fayard.

[7] Ensemble de normes que doit suivre le musulman pour rester dans la voie de Dieu. Ces normes n’ont jamais été regroupées dans un livre, elles fluctuent au fil du temps et des lieux. Le mot charia viendrait de la racine « ouvrir ».

 

 

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lundi, 08 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

 

Mardi 24 juillet

Jeunesse laborieuse, jeunesse dangereuse

 

             L’eau coule sur mes bras, je me rafraîchis la nuque. Une dernière pause au bassin de la chapelle Sainte-Agathe avant de prendre le GR5 vers Montchavin. « 1 heure de trajet, danger de chute » indique le panneau de bois.
Les premiers mètres sont enchanteurs, le sentier bordé de pissenlits, gentianes et anémones. Plus bas gronde le Pontavin. Je m’enfonce dans les mélèzes. Le sentier se fait escarpé, je traverse un petit pont de rondins non attachés et glissants, je bute devant les rochers. Sur l’un est peinte une flèche bleue axée vers la gauche. Je suis l’indication, grimpe une dizaine de mètres en m’agrippant aux rochers puis m’interromps. J’ai mal compris le signal. Impossible de continuer. Redescendre ? J’ai peur. Je calcule mes pulsations avec le chronomètre du portable. 230 à la minute ! Attendons. La sonnerie retentit. Mon fils aîné, de Paris :

 

Maman, j’ai deux nouvelles, une bonne, une mauvaise.

 

- Accouche, petit, là je suis cramponnée à la montagne, je suis toute seule, je me suis perdue, j’ai peur. Les devinettes, c’est pas le moment.

 

- Ah, mais c’est bon pour le physique ça !

 

- Tu m’expliques ou je raccroche !

 

- Alors, la bonne nouvelle, c’est que je suis retenu pour l’appart, la mauvaise c’est…

 

- T’es viré ?

 

- Mais non, c’est qu’il faut avant lundi vos feuilles de paie.

 

- Quoi ? … ils ont nos feuilles d’impôt, ça leur suffit pas ?

 

- Non.

 

- Bon, on revient vendredi soir. On verra. Dis, tu me rappelles dans vingt minutes pour vérifier que je suis toujours vivante ?

 

- La bise maman !

 

            Dix minutes plus tard, j’enlève les échardes de mes bras, descend l’éboulis sur les fesses et reprend le sentier sur la droite. Il est plus facile, je grimpe facilement et mon esprit vagabonde trente ans en arrière. A dix-huit ans, je descendais du train à la garde d’Austerlitz, avec en poche 300 francs -45 euros-, aucun point de chute, seulement mes espérances, ma volonté et, aussi, une société apaisée et confiante. Après une semaine dans un petit hôtel du boulevard Luxembourg, j’emménageai dans un studio minuscule au fond d’une cour, rue du Faubourg Saint-Jacques. Entre temps, j’avais trouvé un emploi au Printemps Italie qui venait d’ouvrir. La propriétaire ne m’avait pas demandé de feuille de paie, ni l’employeur de certificat de logement. Aujourd’hui, mon fils, 27 ans, fils de bourgeois du XVIème, bonnes études, un emploi en CDI, est tout heureux de débourser 780 euros, pour un studio de 31 mètres carrés au 5ème étage sans ascenseur en haut de la place Clichy.

 

Me revient à l’esprit la colère de Mickaël Mangot. Paru au printemps, son dernier livre « Les générations déshéritées » dénonce l’injustice faite aux jeunes dans nos pays. Comme je lui faisais remarquer que les « vieux » ne font que profiter de l’épargne accumulée au fil des ans et que les conditions de travail étaient plus dures il y a cinquante ans, il s’énerva. « Tu sais à quel âge les Français se déclarent le plus heureux ? A 65 ans ! Et le moins heureux ? De 20 à 45 ans ! Toute la charge fiscale et sociale pèse sur cette tranche d’âge. Depuis quand faut-il attendre 65 ans pour être au top du bonheur ? »

 

Pour Mickaël, « les plus faibles sont les jeunes, marginalisés dans un système qui ne crée pas d’emplois et qui, à leurs dépens, protège les classes d’âge déjà établies. Au contraire, le risque d’explosion du contrat social est bien plus grand si l’on ne fait rien maintenant. Et l’explosion serait fatale aux séniors et à leurs énormes besoins en services de santé. (…) Les jeunes ont le premier rôle à jouer dans cette révolution économique et fiscale. Après tout, pendant les quarante prochaines années et même plus, ce sont eux qui vont être les chevilles ouvrières du pays Leur adhésion au modèle social est indispensable pour sa survie. Si, au contraire, ils sont nombreux à choisir l’exil plutôt que le sort économique qu’on leur propose ici, le modèle français périclitera mécaniquement ».
            Sur le constat –la captation de la richesse nationale par les plus vieux-, je ne peux que le partager. Sur ses préconisations, notamment fiscales, aussi. Rien ne justifie que les cotisations CSG et CRDS pèsent plus sur les revenus du travail que sur les pensions de retraite ou que ces dernières bénéficient d’un abattement de 10 % pour … frais professionnels !

 

            En revanche, son analyse me paraît insuffisante pour expliquer la faillite du système social français. Pour un chargé de cours à l’Essec de Singapour, il me paraît bien trop franco-français…

 

            Et puis, les retraités d’aujourd’hui risquent de payer le prix fort d’ici très peu de temps. Déjà, les Irlandais ont vu leur pension réduite de plus de 30 %. En 2009, « le rendement réel (compte tenu de l'inflation) des fonds de pension a chuté, en moyenne, de 17 % dans 23 pays de l'OCDE. La plus forte baisse, soit 37,5 %, a été observée en Irlande ».[1] Cet ami irlandais lors d’un dîner à la maison : « Vous ne vous rendez pas compte de la crise en France. Chez nous, elle a changé notre façon de vivre. Avant, on se retrouvait entre amis au pub ; maintenant, c’est trop cher et on fait comme vous : on s’invite à la maison ». Cela avait jeté un froid et j’avais vite détourné la conversation. « Vous reprendrez bien un peu de Brie ? »

 

 

 



[1] Edward WHITEHOUSE  et  Anna Cristina D'ADDIO, dans l’article « Aucun système de retraite n’est à l’abri de la crise », dans la revue Constructif de février 2010.  

 

 

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dimanche, 07 septembre 2014

Un drôle d'été français - Une France sous le syndrôme de Stockholm

23 juillet 2012

Haine du peuple de France

 

             Toujours cette haine du peuple de France. Hier soir, j’ai gâché le plaisir accumulé de la journée. Elle avait commencé dans l’euphorie du départ en vacances vers Pesey, en Haute-Savoie, au bord du parc de la Vanoise. La griserie de l’air avait enlevé toute la fatigue des huit heures de route et, au lieu de me laisser bercer par les bruits de la montagne, j’écoutai la radio en préparant le dîner. Ce fut pour entendre François Hollande « commémorer » la rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942. Cette opération à laquelle les occupants allemands avaient donné le nom de code « vent printanier » consistait à arrêter à Paris 12 894 Juifs étrangers, dont 1051 enfants, réfugiés en France. Avant d’être envoyés vers les camps d’extermination, ils furent parqués qui à Drancy, qui à Pithiviers, qui Beaune la Rolande.

 

            Comme Jacques Chirac en 1995, le chef de l’Etat impute à la France « ce crime commis en France ». De quelle France parle-t-il ? C’est vrai, ces abominations ont été possibles grâce à la collaboration efficace des policiers parisiens. Répartis en 888 groupes, ils ont alpagués ces pauvres gens dont le seul tort était d’avoir cru trouver refuge en France.
            Les policiers obéissaient aux ordres d’un gouvernement dirigé par un vieillard sénile à qui une Assemblée nationale majoritairement de gauche avait, deux ans plus tôt, cédé les pleins pouvoirs.
            Qui sommes-nous aujourd’hui pour condamner des fonctionnaires qui vivaient à une époque où le simple fait de manifester envoyait à la déportation ? Qui d’entre nous aurait eu le courage de s’opposer aux déportations ? Concrètement, aider des fugitifs revenait, avant même de leur fournir un logement et des fausses identités, à les nourrir. On l’a oublié, mais pour Hitler, alors dirigeant de l’Allemagne, le peuple de France devait être asservi, tant financièrement que par la faim : « Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable. »
[1]

 

            Contrairement à François Hollande ou Jacques Chirac, je suis fière d’appartenir à un peuple dont les trois-quarts des Juifs ont réussi à échapper à la barbarie nazie[2], fière d’appartenir à un peuple dont l’évêque de Toulouse Jules Saliège déclarait le 23 août 1942 : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. France, patrie bien aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs. » Pour moi, la France, c’était plus celle partie dans les maquis que celle de la collaboration.

 

            Humblement, je ne peux que me souhaiter à moi-même d’avoir la force d’aider les plus faibles, les plus menacés, ainsi que je le fais en apportant une fois par semaine de la nourriture et de l’amitié aux sans-abri du centre de Paris, hommes et femmes avant d’être Roumains, Afghans, ou Français sans famille ou handicapés. Aurais-je le courage d’aller plus loin s’il fallait braver des lois appliquées d’une main de fer alors même que, aujourd’hui, je m’exonère trop souvent de sortir le lundi soir prétextant la fatigue ou les impératifs familiaux ?

 

            Qu’un Jacques Chirac attribue à la France la responsabilité de la déportation des Juifs alors qu’elle s’inscrivait dans un programme de « solution finale » décidé à Berlin le 20 janvier 1942 lors de la Conférence de Wannsee, passe encore. L’honneur n’est pas ce qui caractérise ce squatter qui, dès la fin de sa présidence, alla habiter, gratuitement et somptueusement, quai de Seine, dans un immeuble appartenant à la famille de Rafic Hariri, ancien président du conseil libanais, ancien intermédiaire d’armes et grand promoteur immobilier.[3]

 

            Mais pourquoi les socialistes choisissent-ils la pire part de leur héritage, celle du vote des pleins pouvoirs à Pétain plutôt que les grandes luttes sociales ? D’où cette fascination pour la veulerie ? Se sentent-ils illégitimes pour se revendiquer de la France de Londres et des maquis ? Ou trop lâches ? Un peu des deux ?
            L’ascension de leurs dirigeants se fonde sur une trahison. Dans la dernière page de son roman « Ils ont tué Pierre Verney », Morgan Sportes cite un ancien maoïste : « Lors de la dissolution
[4], au lieu de dire « on s’est trompé », nos chefs sont restés dans l’ambiguïté. (…) Se déroule alors une grande entreprise de recyclage des chefs : on les recase à Libération, à la télévision, dans l’édition… (…) Les brebis égarées rentraient au bercail, les enfants prodigues. Chacun rejouait pour soi seul l’enfance d’un chef, du maître Jean-Paul Sartre. Les putains respectueuses… - Les putains repenties ! conclut l’ex-mao Gilles Bénard ».

 

            Après le basculement de l’anti-communisme vers l’atlantisme, l’ultime avatar du renoncement sera la fin du soutien à la classe ouvrière. Il est écrit en toutes lettres dans les recommandations de Terra nova. Ce réservoir à idées du parti socialiste se présente comme un « think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des solutions politiques innovantes, en France et en Europe ». Dans une note du 10 mai 2011 intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour demain ? », ses auteurs Bruno Jeanbart, Olivier Ferrand etRomain Prudent expliquent : « Il n’y a plus de spécificité du vote ouvrier. Pire, le candidat Lionel Jospin n’a rassemblé que 13% des suffrages ouvriers : les ouvriers ont moins voté socialiste que l’ensemble des Français (16%). Au second tour de la présidentielle, le vote ouvrier passe de 72% en 1981 à 50% en 2007 : pour la première fois de l’histoire contemporaine, les ouvriers, qui ne votaient déjà plus à gauche au premier tour, ne votent plus à gauche au second. »

 

            Il aura fallu dix aux « penseurs « du parti socialiste pour comprendre un phénomène bien mieux campé par Laurent Joffrin, dix ans plus tôt : « Soudain, dans les banlieues des années 80, il n’y avait plus de prolétaires admirables. L’antiracisme remplaçait l’ancienne rhétorique de la justice sociale, le nouveau couple beauf/beur remplaçait l’ancienne paire bourgeois/prolétaire. (…) Il n’y avait plus d’hommes de l’avenir, de fantassins du progrès unis par leur condition commune mais des bourreaux et des victimes que leur race différente jetait les uns contre les autres. Les cités de l’avenir devenaient les cités de la peur ». Et cela, le journaliste l’exposait avant les élections présidentielles de 2002 lorsque, le 21 avril, le Front national est devenu le premier parti des ouvriers de France[5].

 

            Conséquence logique, il faut aller ailleurs chercher les voix qui se porteront sur François Hollande. Ce sont celles des diplômés, des jeunes, des minorités et quartiers populaires et, enfin, des femmes. Cette « stratégie « France de demain » centrée sur les valeurs »[6] a réussi : où François Hollande a-t-il réalisé ses plus beaux scores ? au sein des grandes villes, là où les prix de l’immobilier atteignent des sommets, notamment Paris[7].

 

            Quant aux ouvriers et employés, ces petits blancs qui votent Le Pen, ils sont condamnés à disparaître. Toujours dans la même note de Terra nova : « Les ouvriers de l’industrie ne représentent plus que 13% des actifs : deux ouvriers sur cinq travaillent dans le secteur tertiaire, comme chauffeurs, manutentionnaires ou magasiniers. Ces ouvriers des services, qui travaillent dans l’isolement, ne bénéficient plus de l’identité ouvrière : le collectif de travail de l’usine, la tradition syndicale, la fierté du métier. » Bref, ils puent et ne sont pas intéressants. Ces pauvres types qui, des années durant, enquillent soit les CDD pour assurer les services après-vente des opérateurs télécom soit les contrats aidés pour les mairies en quête de subventions, qui vivent à des dizaines de kilomètres de leurs lieux de travail et qui circulent dans des voitures polluantes au diesel, non mais vraiment, ça existe encore ? Dommage, la délocalisation ne s’applique pas à toutes les tâches ouvrières.

 

            Mon grand-père lui non plus ne devait pas sentir très bon quand il revenait de l’usine. Son travail d’OS consistait à alimenter la cheminée en charbon. Et après, il lui fallait aller aux champs s’occuper de sa toute petite ferme. Il n’était pas de l’aristocratie ouvrière. Sans doute n’aurait-il pas plu aux penseurs de Terra Nova. Pour moi, c’était un homme grand. A l’image de ceux du film de Gilles Perret, « De mémoires d’ouvriers » qui raconte l’épopée des ouvriers-paysans de Savoie. 

 

            Cette Savoie dont les sommets s’empourprent au soleil couchant. Le ciel est pur, la tête me tourne un peu de tout cet oxygène dont j’ai oublié la saveur à Paris. Deux rapaces planent au-dessus du massif de Bellecôte, je m’amuse à penser que ce sont des gypaètes barbus, juste pour le plaisir d’en prononcer le nom. Me penchant sur la gauche, je regarde un papi et ses deux petits-enfants. Lui traîne la jambe, la randonnée a dû être longue, tandis que les bambins courent en se chamaillant. A l’intérieur de l’appartement, mon fils sort de la douche. « Maman, j’ai faim ! » Existe-t-il une phrase plus révélatrice des relations mère-enfants ? Ne me dites pas : il y a aussi « Maman je t’aime ». Bon, au boulot, à la cuisine.

 

 

 



[1] Mein kampf

[2] Selon Lucy Dawidowitz, 26 % de la population juive vivant en France en 1939 a été exterminée, c’est évidemment trop, notamment par rapport à la Finlande et au Danemark (1 %), le Luxembourg et l’Italie (20 %) ou la Bulgarie (22 %).

[3] Oger International, groupe de promotion immobilière de la famille Hariri dont le siège est à Paris, est partenaire capitalistique et industriel du programme Autolib’ à Paris.

[4] Dissolution de la Cause du Peuple en novembre 1973.

[5]  24 % des ouvriers ont voté pour Jean-Marie Le Pen selon le CSA, 30 % selon IPSOS.

[6]  « Insister sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation, et mener la bataille sur l’acceptation d’une France diverse, pour une identité nationale intégratrice, pour l’Europe. »

[7]  55,6 % des votes exprimés pour François Hollande, 44,4 % pour Nicolas Sarkozy. Prix moyen du mètre carré à l’achat : 8 418 euros en septembre 2012.

 

 

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samedi, 06 septembre 2014

Un drôle d'été français ou comment la mondialisation vient à la France

L’ECRITURE CONTRE LE DEGOUT

               L’urgence de dire, c’est elle qui me pousse à livrer ces réflexions sur la France. Jamais autant qu’en cet été 2012, je ne ressentis un tel besoin de vacances. Des vacances que j’aurai consacrées, un peu, à écrire.

            De l’automne 2011 à juin 2012, associée avec deux amis, j‘avais mené un projet impliquant financiers, industriels et collectivités publiques. Le but était de créer des fonds de titrisation dans lesquels seraient logées les activités à impact sociétal des entreprises. Un projet qui faisait intervenir financiers, entreprises et collectivités locales. Le constat ? échec. Un double échec, financier et humain. Question finances, c’est dur mais rien de mortel. En revanche, les échanges que j’aurai menés durant ces mois m’auront laissé un goût acide que ne parviendra pas à effacer ma balade française.

            Alors, durant l’été,  je serai allée de la Savoie au Pays Basque puis en Normandie, j’aurai redécouvert un pays superbe aux habitants heureux de faire la fête. Je laissais la joie s’incarner en moi mais elle restait teintée d’une ombre palpitante.
            Ce clair-obscur où se tapissent les monstres, je veux le dissiper, pour mes enfants. Force est d’avouer que je leur lègue un pays hostile. Quel Musset aujourd’hui s’exclamerait « Adieu la gaieté de ma jeunesse, l'insouciantefolie, la vie libre et joyeuse au pied du Vésuve! » ? Ne reste aux jeunes poètes que l’écriture de centaines de lettres de « candidature spontanée » aux strophes et au rythme plus contraints que ceux de l’alexandrin.
            Lorsque, de juillet à septembre 1940, il écrivit « L’étrange défaite », Marc Bloch avait déjà vécu, en soldat, la drôle de guerre puis la bataille perdue contre l’Allemagne. Sous son égide, j’écris ces lignes durant le drôle d’été 2012. Je les peaufinerai l’année suivante. N’y voyez pas un testament mais un message d’espoir à ce pays qui jamais n’a accepté d’être condamné.

            Au fil du journal, me reviendront les discussions de l’hiver et du printemps 2011-2012 avec des élus, certains pleutres, d’autres lucides, avec des industriels tétanisés, avec des bénévoles idéalistes ou avides de pouvoir, avec des fonctionnaires tâchant de parer au plus pressé malgré des moyens qui filent en queue de quenouille… Ces échanges, je les poursuivrai tout au long de 2013. Et, au retour de chaque entretien, un même constat désabusé. Il y a ceux, rares, qui savent et se taisent et ceux, si plus nombreux, qui se confisent dans l’égoïsme et l’aveuglement. Plus grave, aucun n’a confiance en le peuple.      
Alors, moi, je vais dire. Je dirai ce qu’ils taisent bien sûr. Je dirai aussi leur ignorance, leur arrogance, leur naïveté et, aussi, leur lâcheté. Et, enfin, je dirai la passivité d’un peuple complice, ce peuple auquel j’appartiens.


 

 

 

 

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vendredi, 05 septembre 2014

Dette publique et développement durable

Analyse extra-financière et dette publique : dans leur dernière étude « ESG », les analystes de la société d'investissement Oddo ont réactualisé leurs notes sur les dettes publiques des états de la zone euro.
Partant du constat que « l'histoire économique est jalonnée de crises de dettes publiques (...) et que les deux principaux facteurs explicatifs de l'effondrement, voire la disparition des civilisations sont la raréfaction des ressources et les inégalités sociales », ils focalisent leurs efforts sur les pays de l'OCDE et de l'Union européenne, soit quelques 45 pays concentrant les deux tiers de la dette souveraine à l'échelle mondiale.
L'approche environnementale, sociétale et de gouvernance trouve toute sa pertinence comme signal d'alarme. Ainsi, les notes extra-financières de la dette de la Grèce ou de Chypre ont été dégradées bien avant que les agences de notation classiques - Standard & Poor's ou Fitch...- ne s'alarment.
De l'actualisation de leurs notes ESG, il ressort donc que, pour la zone euro, la Belgique, l'Irlande et la Suisse voient leur position renforcée, alors que celles de la Grèce, de Chypre mais aussi de l'Italie et de l'Espagne sont dégradées.
Si le rôle de Cassandre de l'analyse ESG est confirmé, alors on peut anticiper une nouvelle dégradation de la note financière de l'Italie et l'Espagne.
Et la France dans tout ça ? Elle se classe 17ème, soit au même niveau qu'en 2012. On ne sera pas surpris que sa performance environnementale soit plutôt bonne (10ème rang), mais qu'elle pêche par sa gouvernance ((21ème rang) et par les critères sociaux (19ème rang)...

Un drôle d'été français ou comment la mondialisation vient à la France

Rentrée 2014, retour deux ans en arrière.
De juillet à septembre 2012, je consacrai deux heures chaque jour à retranscrire échanges et confrontations avec des dirigeants, économiques, politiques ou financiers. C'était dans le cadre d'un projet de fonds de titrisation pour activités « sociétales », que deux amis et moi-même avions rencontré cette élite de la France. Le montage fut un échec. L'écriture de cet échec fut un remède efficace. Son effet aurait dû être dopé par une publication mais l'industrie n'est pas seule en France à faire faillite. Mon éditeur aussi dut fermer sa maison.
Je laissai donc mes écrits dans un dossier, caché au fond de l'ordinateur.
Et puis, deux étés passent, une énième rentrée se profile et, avec elle, la nécessité du rangement. Là, je retrouve ces notes estivales.
Alors je décide de les partager.
Ami lecteur, tu auras remarqué que ce blog a été un peu laissé en jachère ces derniers temps. Trop de travail, trop d'obligations personnelles..
Ce feuilleton, je te l'offre alors en guise de passe-temps.
Aujourd'hui, tu auras le sommaire. Demain et les autres jours, je te donne rendez-vous pour continuer ta lecture.
A bientôt !

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

 

L’ECRITURE CONTRE LE DEGOUT               

 

                               

 

UNE FRANCE FRAPPEE DU SYNDRÔME DE STOCKHOLM

                        23 juillet

 

Haine du peuple de France

 

Mardi 24 juillet

 

Jeunesse laborieuse, jeunesse dangereuse

 

Mercredi 25 juillet

 

Le Qatar, les pétro-dollars, la France et Total

 

Jeudi 26 juillet

                        Du Michigan à la Provence, les ravages de la crise financière

 

Vendredi 27 juillet


                       Adieu usines, bonjour centres commerciaux !

 

Dimanche 29 juillet

 

La ville aux 2 SDF ou l’exclusion fille de la mondialisation

 

Lundi 30 juillet
                 

De l’inflation sélective à l’hyperinflation

 

Samedi 5 août

 

Des barthes, de la Suède et de la LGV

 

 

 

LA GUERRE SANS NOM

 

Lundi 6 août

 

De la plage des Corsaires à la mer de Chine en passant par la Méditerranée et la mer                          baltique

 

Mardi 8 août

 

Le jour où la zone euro n’a pas explosé

 

Mercredi 9 août 

 

Une guerre fratricide

 

Jeudi 10 août

 

Les barbares sont parmi nous car nous sommes les barbares

 

                               
                      FRANCE, MERE DES ARTS, DES LETTRES ET DES SCIENCES

 

Vendredi 17 août

 

Les Français seraient donc trop riches

 

Samedi 18 août
                       Comprendre le monde pour comprendre la France

 

Jeudi 23 août

 

L’Union européenne est morte, vive l’Union ! mais laquelle ?

 

Vendredi 24 août 2012-23 août 2013

 

France, ressaisis-toi




 

 

 

 

 

 

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vendredi, 01 août 2014

Le chèque santé, une initiative prometteuse

Comment faire profiter les salariés des soins préventifs non médicamenteux mais pratiqués par des professionnels du type kinésithérapeutes, orthodontistes, ostéopathes ou thérapeutes ? Avec un chèque santé !
Le marché des titres prépayés tels les tickets restaurants ou autres chèques cadeaux s'élève en France à 24 milliards d'euros. Pourtant
Confrontés à l'absence d'une offre santé, Vincent Daffourd et Guillaume Gallois se sont donc associés pour proposer aux entreprises, collectivités, associations et comités d'entreprises un titre prépayé dématérialisé consacré exclusivement aux soins non médicamenteux.
Tout juste créée en juin dernier, leur société montpelliérenne Care Labs compte déjà 10 000 pré-inscriptions. Une initiative intéressante à l'heure où 10 millions de Français renoncent aux soins par manque de moyens.

 

 

vendredi, 13 juin 2014

La TTF, Laurence Boone, David Azéma ou l'amour-haine des socialistes pour la finance

Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. Une phrase culte des Tontons flingueurs, que l'on a eue cent fois à l'esprit au fil de la vie.
Elle me revient aujourd'hui face aux agissements de nos gouvernements à l'égard de la TTF ou taxe sur les transactions financières. Cette TTF, cela fait huit années que l'Union en débat. Oxfam France, ATTAC, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Roosevelt ou Amis de la Terre, plus de trois cents ONG européennes réunies dans la « coalitionplus » ont élaboré des propositions qui ont servi de socle de réflexion à la Commission européenne et au Parlement.
Le 10 mai, elles rappelaient un premier succès à la veille des législatives européennes : onze pays européens s'étaient engagés à imposer une taxe sur les transactions financières. Encore une taxe ? oui, mais celle-ci est plébiscitée par 61 % des Européens, selon l'enquête sur la gouvernance demandée par le Parlement européen. Ils savent que la crise dans laquelle nous végétons depuis 2008 a été provoquée par les errements des banques. Et cette TTF doit servir au développement solidaire.
Premier problème : cette mesure est un trompe l'oeil. Pour être efficace, une taxe doit s'appliquer à tous et sur la même assiette. Dix pays, cela ne fait même pas la moitié des états membres de l'Union. L'assiette ? elle est comme les bols de soupe de Boucle d'or : il y en a de toutes les tailles. A priori, les états taxeraient, a minima, les actions et les obligations -c'est-à-dire les outils financiers véritablement liés à l'activité des entreprises. En revanche, les produits dérivés et le trading à haute fréquence, à l'origine de la spéculation financière, échapperont à la taxe. Ces CDS, swaps et autres subprimes constituent une « arme de destruction massive » pour reprendre l'expression de Warren Buffet, vous savez, celui qui dit aussi « la lutte des classes existe et nous les riches, nous l'avons gagnée ».
ll y a tout juste un an, les dérivés en circulation dans le monde étaient évalués à 693 000 milliards de dollars par la Banque des règlements internationaux, soit dix fois le PIB mondial ou 9 000 milliards de plus qu'en 2008, avant le déclenchement de la crise des subprimes...
Cependant, ces dérivés, l'Union ne veut pas y toucher. Elle n'arrive même pas à adopter la mesurette qu'avait imposé l'Etat français aux banques en août 2012, qui n'était rien d'autre que l'impôt de bourse supprimé en 2007 mais remplacé par une hausse de l'impôt sur les plus-values boursières.
Deuxième problème, plus grave encore : cette mesure ne sera très probablement jamais appliquée. Le Royaume-Uni a déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la mise en place d’une telle taxe. Quant à Juncker, le luxembourgeois qui a de bonnes chances d'être élu prochain président de la Commission, il y est farouchement opposé.
Continuons dans l'accentuation de la gravité.
Le troisième problème est démocratique : le compromis piteux auquel sont arrivés les dix Etats signataires de la TTF n'a été adopté que pour calmer les populations avant les élections. Aucun des Etats européens n'a la volonté de lutter contre les banques. La réponse donnée à un député par le ministre des finances luxembourgeois est très éclairante sur ce point : « la déclaration faite par dix de ces onze États lors du dernier conseil ECOFIN début mai est restée très vague à ce sujet ».
Dernier problème, français : les deux derniers gouvernements français, celui d'Ayrault comme celui de Valls, s'opposent farouchement à la taxation européenne des produits dérivés, qui représentent pourtant l'immense majorité des transactions financières spéculatives. Est-ce en raison de la prochaine cotation d'Euronext, la Bourse paneuropéenne -Paris, Amsterdam... ? Non, il s'agit d'une connivence très forte entre socialistes et finance.
On se souvient que c'est lors du premier septennat de François Mitterrand qu'a été dérégulée toute l'économie française. A l'époque, c'était au nom de la lutte contre l'inflation.
Aujourd'hui, en toute impunité, dans le silence criant de la majorité comme de l'opposition, François Hollande fait venir à l'Elysée Laurence Boone comme conseillère économique. Vous la connaissez ? c'est l'ancienne économiste en chef pour l'Europe de la banque américaine Merrill Lynch... Et, dans le même temps, le directeur de l'Agence pour les participations de l'Etat, David Azema, négocie son départ pour cette même Merrill Lynch. Son expérience récente y sera appréciée : n'a-t-il pas la haute main sur EDF, GDF-Suez, Peugeot, Radio France et autres Airbus ? 
Que nos dirigeants soient incapables de s'apercevoir des erreurs, ou plutôt des crimes, qu'ils commettent à l'égard de leurs électeurs, que les hauts fonctionnaires soient aussi méprisants à l'égard du bien commun est terrifiant. Terrifiant de bêtise. Terrifiant par ce qu'ils génèrent de désordres et de conflits futurs.
Ils auraient tort de se gêner : la Coalitionplus ne passe-t-elle pas par le Parlement européen pour faire passer ses idées alors que cette instance n'a aucun pouvoir et que la Commission est un pantin aux mains de l'Allemagne ?
S'il vaut mieux rire qu'en pleurer, alors je vais reprendre la lecture des mémoires de Churchill, un verre de rosé à portée de main. Lire ses moqueries sur les couardises et les bêtises des politiques européens dans les années 30, rien de tel pour retrouver le moral !




 

mercredi, 11 juin 2014

Une alliance Ford et Heinz pour un moteur à tomates...

« You Say Tomato ; We Say Tom-Auto » : c'est le nouveau slogan de Ford et de Heinz Company. 
D'abord, on a envie de rire. Les chercheurs du constructeur automobile et du producteur de ketchup expérimentent l’utilisation de fibres de tomate qui serviraient aux supports de câblage et aux consoles de rangement.
Ensuite, on s'émerveille de la puissance d'imagination et de transformation du cerveau humain. Et de l'abnégation de nos grandes compagnies : « Le développement réussi d’un composite plus durable permettrait de réduire l’utilisation des matériaux pétrochimiques dans la fabrication ainsi que l’impact des véhicules sur l’environnement ».
Et puis on est content : le recyclage des peaux et graines des tomates utilisées par Heinz, n'est-ce pas là un exemple fort du concept d'économie circulaire ? Et Ford ne s'engage-t-il pas de plus en plus dans la réduction des empreintes environnementales -supports de carénage en coque de riz, tapis en coton recyclé ou mousse de soja pour les coussins ?
A la fin, on s'inquiète un peu. Un plastique durable et 100 % végétal, ça serait formidable, ne serait-ce que pour nos océans. Problème : les terres agricoles, diminuées année après année par l'urbanisation des paysages, sont de plus en plus destinées à l'industrie, automobile notamment. On se souvient du rôle de l'expansion des agro-carburants, à base de canne à sucre notamment, dans le déclenchement des émeutes de la faim en Amérique centrale en 2008. Le risque n'est pas neutre d'un détournement des terres agricoles à des vues industrielles.
Mais là, ce ne sont pas les entreprises qui sont en cause. Ce qui est nécessaire, c'est une politique exercée directement par les citoyens. On peut rêver !

jeudi, 05 juin 2014

Lagarde ou Juncker à la Commission européenne ? Merkel décidera

Ils nous l'avaient promis-juré, nos partisans du gouvernement français de l'heure : voter pour eux, c'était la garantie d'avoir un socialiste à la tête de la Commission européenne. Le meilleur moyen d'infléchir la politique qu'ils jugeaient trop « libérale » de Bruxelles. Et les noms de circuler -Elisabeth Guigou ou Pierre Moscovici, ce serait forcément un Français. Et peu importe que des urnes françaises soit sorti en premier un parti anti-Union, ou que le gouvernement soit incapable de tenir ses engagements budgétaires ou de mener des réformes nécessaires.
Le retour à la réalité est cruel. C'est Angela Merkel qui décide du poste. Dans un premier temps, elle a joué la carte du luxembourgeois Juncker, comme elle vient de l'affirmer devant le Congrès catholique de Ratisbonne : « I will now lead all negotiations in the spirit that Jean-Claude Juncker should become president of the European commission. »
Après le médiocre Barroso, nous aurions donc le médiocre Juncker ? Pourquoi pas, il représente le PPE, parti victorieux des urnes européennes. Et puis, il a un autre mérite : l'hostilité des Britanniques à son égard.
Et c'est là que se déploie l'intelligence tactique de la chancelière allemande. Elle savait très bien que la candidature de Juncker est insupportable au Royaume-Uni et à la France. Elle a donc attendu quelques jours avant de laisser « fuiter » un autre nom, celui de Christine Lagarde, ancienne ministre de l'économie à Bercy et actuelle dirigeant du Fonds monétaire international.
Elle fait ainsi d'une pierre deux coups. D'une part, elle aura l'accord des deux grands pays qui s'opposent à l'Allemagne -Cameron est un admirateur de l'action de Lagarde au FMI, Hollande ne peut décemment s'opposer à la nomination d'une Française à la Commission. D'autre part, elle assoit aux yeux de tous les autres états de l'Union son rôle de « Chancelière de l'Europe ».
Peu importe le président de la Commission que choisira Angela Merkel. Preuve est faite depuis longtemps que le seul exclu que tolèrent les dirigeants européens, c'est la démocratie.

Istatut, ou l'innovation à Bergerac

Créer un incubateur quand on habite Bergerac ? C'est possible et ça peut marcher.
Après avoir lui-même connu les difficultés des tout petits entrepreneurs et s'être trouvé confronté à une demande de 2 000 euros pour créer sa petite boîte, Akim Rezgui a décidé de créer un incubateur en ligne pour les TPE -artisans,commerçants, asso et/ou micro entreprises.
Originalité d'Istatut : la création d'entreprise s'effectue gratuitement et en ligne, et avec conseils s'il vous plaît. Plus une centrale d'achats groupés et un service dédié de conseils juridiques.
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